La décision de l’ONU d’intervenir en Libye pour «soutenir les insurgés », provoque des débats au sein du NPA. Cette semaine, nous publions deux tribunes exposant des points de vue différents.
Libye : entre espoir et malaise
Les partis politiques traditionnellement anti-impérialistes en France et en Europe, les organisations pacifistes et même les puissants mouvements antiguerre de l’Angleterre ou de l’Allemagne se seraient-ils tous convertis à l’interventionnisme de l’Otan ? D’où vient cette demande de livraison d’armes aux insurgés libyens par les mêmes organisations qui y étaient opposées au moment où ceux-ci étaient à l’offensive et que Kadhafi n’avait pas encore regroupé ses forces ?La réponse à l’intervention militaire de l’ONU en Libye est-elle aussi simple, pour ne pas dire simpliste, que de demander l’arrêt de celle-ci ? Ce ne sera pas celle d’une partie de la gauche en France, en Europe et même dans le monde arabe, sans aucune illusion sur les motivations de Sarkozy et de la coalition, en connaissant très bien les risques que comporte une intervention militaire. Ce débat traverse tous les partis politiques quelle que soit leur position officielle, du Parti socialiste aux Verts, du Parti de gauche au NPA. Sans doute parce qu’il n’y a pas de bonne réponse. Certainement parce que nous sommes désespérément, terriblement impuissants à apporter une autre réponse à l’appel des insurgés de Benghazi. Parce que leur armée et leur dictateur n’ont pas fait le choix d’une répression féroce, les révolutionnaires tunisiens et égyptiens peuvent se contenter de notre solidarité purement intellectuelle. Parce que Kadhafi est prêt à massacrer son peuple, parce qu’il lui a promis « un bain de sang » et que nous savons très bien qu’il tiendra cette promesse en cas de victoire, nous voulons d’abord et avant tout sa défaite. Les opposants à la résolution de l’ONU ont beaucoup d’arguments en leur faveur : le contrôle du pétrole libyen est la première raison de cette intervention, le risque de guerre civile est majeur, Sarkozy compte sur une victoire pour gagner en popularité en vue des prochaines élections. Oui ! Tout cela est vrai. Donc, halte là ! Laissons les Libyens se débrouiller entre eux. Le risque de guerre civile sera, peut-être, écarté. Mais à quel prix ? Kadhafi avec son armée, ses milices massacreront tous les insurgés, traqueront toute l’opposition, anéantiront tout espoir pendant des années. Les puissances occidentales protesteront, feront peut-être des déclarations fracassantes pendant quelque temps… Et puis la « realpolitik » reprendra le dessus, ils ont tant besoin de leur pétrole. Les groupes pétroliers français, américains ou britanniques ne seront pas les bienvenus en Libye, qu’importe il y aura les autres. Aucun des États qui se sont abstenus au Conseil de sécurité de l’ONU ne l’a fait par anti-impérialisme. Eux aussi ont voulu préserver leurs intérêts futurs. Ils n’ont pas usé de leur droit de veto, mais se refusent à faire le « sale boulot ». Les convictions anti-interventionnistes d’Angela Merkel lui font proposer un renforcement de l’aviation allemande en Afghanistan et ainsi rendre disponibles pour l’intervention en Libye ceux des américains. Les Tchétchènes et les Tibétains sont certainement sensibles à l’humanisme des dirigeants russes et chinois. Les protestations des dirigeants de la Ligue arabe contre le bombardement des infrastructures de l’armée libyenne sont sans doute complètement étrangères aux manifestations auxquelles ils font face dans leurs pays.Si la situation n’était pas tragique, cette mascarade pourrait être drôle. Demander aujourd’hui l’arrêt de l’application de la résolution 1973 des Nations unies, c’est assumer de regarder en face les insurgés de Benghazi et de tout l’Est libyen en leur disant : « nous sacrifions vos vies, votre liberté, votre espoir à notre anti-impérialisme » ; en leur disant : « il n’était pas en notre pouvoir de répondre à votre appel, mais il est en notre pouvoir de descendre dans la rue pour tenter de faire pression sur nos gouvernements pour qu’ils arrêtent l’aide mal intentionnée qu’ils vous ont apportée ». Certains d’entre nous feront ce choix, pas moi.Marie-Do Bartoli
La solidarité avec les processus révolutionnaires, c’est l’opposition à l’intervention militaire en Libye
Les grandes puissances nous parlent de l’urgence de se débarrasser de la dictature de Kadhafi. Mais il était un allié de la France, reçu en grande pompe, il y a encore six mois. La protection des civils est un prétexte grossier. Les grandes puissances n’ont pas un mot contre la répression sanglante au Bahreïn avec la complicité active de leurs alliés… et le gouvernement français s’est opposé à l’intervention en Irak, alors que Saddam Hussein menait des offensives meurtrières contre les Kurdes. L’indignation est bien sélective... car elle sert des intérêts bien précis.
Les objectifs de l’interventionSi Kadhafi est renversé avec l’aide des impérialistes, au lieu d’une victoire des travailleurs, on débouchera sur un renforcement des grandes puissances capitalistes. Si Kadhafi n’est pas renversé, l’intervention militaire leur permettra de peser directement sur la situation en Libye. L’intervention est un signal donné aux révolutionnaires de la région : les grandes puissances entendent dicter leurs conditions aux processus en cours. Elles ont saisi l’occasion d’intervenir contre un régime haï pour entrer dans la danse. Et pour l’impérialisme français, il s’agit de reprendre des positions dans sa zone d’influence traditionnelle. C’est pour cela que les organisations anticapitalistes significatives dans le monde arabe sont opposées à l’intervention. Les objectifs de l’intervention impérialiste sont clairement contre-révolutionnaires et néocoloniaux, ils sont opposés aux nôtres. C’est dans ce sens que le CPN du NPA a voté : « Beaucoup dépend de ce qui va se passer en Libye, où l’intervention de l’impérialisme aura pour seul objectif de tenter de reprendre la main et faire barrage à l’approfondissement du processus révolutionnaire. » Pourquoi le mot d’ordre central doit être : « Non à l’intervention »Que les révolutionnaires libyens mettent au premier plan l’opposition à Kadhafi est tout naturel. Pour nous, c’est très différent : nous sommes solidaires des révolutions, mais c’est sur ce que fait notre propre gouvernement que nous pouvons réellement peser. S’opposer à la logique guerrière, c’est aussi s’opposer aux budgets militaires, à la croisade contre le prétendu terrorisme… Le « Ni Kadhafi ni intervention » est bien entendu juste abstraitement mais, en pratique, mène à l’immobilisme. Il ne permet pas de regrouper ceux qui veulent se mobiliser. Les discussions sur Kadhafi paralysent les réunions unitaires locales comme nationales, comme c’était le cas autour de l’Irak et surtout de l’Afghanistan. Certains camarades parlent d’armer l’opposition libyenne. De la même manière, abstraitement, c’est juste… mais le mouvement ouvrier n’est pas en capacité de mettre en place des brigades internationales ou d’armer les travailleurs libyens ! Seules les grandes puissances en ont les moyens : du coup, dans le contexte actuel, « Armement de l’opposition libyenne » + « Non à Kadhafi », cela conduit à donner une légitimité à l’intervention militaire ! Une activité concrète de solidarité avec le processus révolutionnaireNous sommes pour l’instant à contre-courant mais nous pouvons gagner des positions. C’était déjà le cas lors des mobilisations contre l’intervention en Afghanistan, mais cela avait préparé celles contre l’intervention en Irak. Il ne suffit pas d’adopter un positionnement correct pour avoir une efficacité. Nous devons chercher à regrouper toutes les forces (organisations et individus) qui sont opposées à l’intervention. « Non à l’intervention » et « Abolition de la dette » sont les deux mots d’ordre minimum qui permettent de regrouper des forces pour une mobilisation utile de solidarité avec les révolutions arabes. « L’ennemi principal est dans notre propre pays » disait l’autre... Organiser des réunions publiques, écrire des tracts, des argumentaires, organiser des manifs contre les bombardements, mettre en lumière les agissements des États impérialistes et des multinationales occidentales, en un mot affaiblir notre classe dirigeante, c’est ce qui aide les travailleurs et les jeunes de Tunisie, d’Égypte et de toute la région à se libérer pour de bon.
Armelle Denise, Antoine Larrache, Jean-François Cabral, Gaël Quirante, Alain Pojolat