Cinq mois après la victoire électorale écrasante de Luis Arce à la présidence de la République, la présidente du gouvernement « intérimaire », Jeanine Añez, a été arrêtée et mise en prison préventive le 14 mars 2021 pour délits de « terrorisme, sédition et conspiration dans le cadre du coup d’État de novembre 2019 ». Avec elle sont aussi incarcérés l’ancien ministre de la Justice Alvaro Coimbre et celui de l’Énergie, Rodrigo Guzmán.
La peine attendue par le ministre de la Justice est de 30 ans de prison car, outre ces accusations sur l’organisation du coup d’État, il y a aussi une exigence de justice pour les victimes des massacres de Senkata et Sacaba perpétrés par les forces de répression en toute impunité dès les premières semaines de la prise de pouvoir des putschistes.
Contestation au sein du MAS
Cette fermeté judiciaire s’accompagne d’une réorientation politique définie par le nouveau président comme un « socialisme modéré ». La principale mesure sociale mise en œuvre dès sa prise de fonction a été l’annonce du nouveau bon contre la faim, destiné aux quatre millions de personnes les plus pauvres du pays. En même temps, dans le contexte de crise économique aggravée par la pandémie de Covid-19, il n’y aura aucune pause dans l’exploitation du sous-sol. Bien au contraire, l’exploitation du lithium est largement relancée, tandis que les investissements dans les secteurs de l’énergie fossile restent la pierre angulaire du modèle de développement en Bolivie.
Dans son premier discours le soir de sa victoire, Luis Arce avait clairement annoncé une politique de réconciliation nationale, ce qui n’augure jamais rien de bon. Un premier indice va dans ce sens puisqu’il a certes expliqué ne pas faire des coupes franches dans les dépenses publiques… tout en reconnaissant être obligé de mettre en œuvre des mesures d’austérité.
Aussi, quand Luis Arce déclare « ne pas vouloir répéter les erreurs du passé », ce n’est pas qu’une simple formule. Cela correspond principalement à l’émergence de débats au sein du MAS, débats largement étouffés sous la présidence d’Evo Morales. Or, depuis l’exil de ce dernier et malgré son aura, la lutte contre le gouvernement Añez a été portée par de nouvelles figures du MAS. Outre cette question de personnes, s’est véritablement enclenché depuis un an un double débat. D’abord sur la place des mouvements sociaux au sein du MAS, ce qui pose la question de la démocratie interne ; et aussi sur l’orientation politique. De retour d’exil, Morales a repris la direction du MAS, mais les choses ont changé pour lui.
Le peuple bolivien toujours mobilisé
C’est dans ce contexte que se sont déroulées, le 7 mars 2021 les élections « sous-nationales » (nom donné aux élections des gouverneurs, des maires des communes ainsi qu’aux autorités départementales et locales). Preuve des conflits internes, la désignation des candidatures du MAS a été parfois problématique. Eva Copa, sénatrice du MAS qui assuma la présidence de l’Assemblée législative plurinationale pendant le gouvernement d’Añez, et qui fait partie de ces nouvelles personnalités du MAS qui ont émergé pendant l’intermède putschiste, était candidate à la mairie d’El Alto, bénéficiant du soutien des militants locaux du MAS. Morales a refusé cette candidature, ce qui a provoqué une levée de boucliers chez les militants du MAS. Exclue du parti, Eva Copa a été contrainte de se présenter sous un autre sigle. Elle a été élue au premier tour avec 68,7% des voix, le candidat du MAS s’effondrant à 18%. Il y a eu les mêmes mouvements de contestation du dirigisme d’Evo Morales pour la désignation des candidatEs à Potosi, Santa Cruz, Cochabamba, etc.
Ainsi, alors qu’en 2015, lors des dernières élections similaires, le MAS avait gagné haut la main, en remportant notamment six gouverneurs sur neuf, le 7 mars 2021 au soir du premier tour, le MAS a gagné trois départements et n’est pas en ballotage spécialement favorable dans trois autres pour le deuxième tour du 11 avril. Il faut noter aussi le score très important du candidat d’extrême droite, Luis Fernando Camacho, dans le département de Santa-Cruz, véritable poumon économique de la Bolivie, qui est élu gouverneur avec 55,6% des voix.
Dans un tel contexte, le peuple bolivien, qui a su se mobiliser malgré la répression contre le gouvernement d’Añez, montre qu’il ne donne aucun chèque en blanc à qui que ce soit. Si Arce a été élu, il le doit au rejet des politiques menées par le gouvernement Añez. Le MAS a donc de nombreux défis à relever et avec la crise sociale et sanitaire sous Covid-19, il n’est pas certain que la population se satisfasse d’une politique de rénovation et d’ouverture qui la soumette encore plus au marché mondial, dont les représentants politiques ont soutenu sans aucun état d’âme le putsch de 2019, notamment l’Union européenne, les USA et l’Organisation des États américains (OEA).