Ce militant du Forum national sur la dette et pauvreté est aussi un dirigeant du Parti du Travail qui est issu du Parti Communiste Révolutionnaire de Côte d’Ivoire.
Peux-tu faire point sur la situation sociale en Côte d’Ivoire
Globalement la situation est très mauvaise, les chiffres officiels font état de 48% de pauvres et la réalité est plus horrible que çà. La situation des paysans est plus compliquée parce que dans les zones occupées par la rébellion les gens ont abandonné les champs et donc c’est la misère. Il faut reconstruire et l’Etat n’est pas présent dans ces régions, ce sont seulement les organisations humanitaires qui y interviennent.A Abidjan, dans la zone gouvernementale, la situation n’est guère meilleure, la corruption s’est accrue, le racket et les détournements de biens publics sont devenus monnaie courante.
Quelle est ton analyse concernant la crise de 2002?
La première cause c’est l’affaiblissement de l’Etat dû aux politiques néolibérales. Le deuxième élément c’est la délégitimation des classes dirigeantes quelles qu’elles soient. Tous les pouvoirs qui ont appliqué les politiques d’ajustement structurels se sont discrédités aux yeux des masses et ont perdu leur légitimité. Pour rattraper cette légitimité perdue ils ont été obligés de se servir d’artifices, de dérivatifs politiques du genre ivoirité, défense de la patrie, etc. Le but est de chercher un autre moyen pour s’assurer le soutien et le vote des gens qu’on ne peut avoir du fait des politiques qu’on applique.
La déconstruction des Etats en Afrique c’est quelque chose de catastrophique. Un Etat comme celui de la Côte d’Ivoire est un Etat qui a fonctionné sur le secteur public ce qu’on a appelé le miracle ivoirien. Mais aujourd’hui le secteur public est pratiquement démantelé, si vous prenez le secteur agro-industriel qui est un secteur stratégique il est entre les mains de grandes multinationales il y a à peine 20% de la production cacaoyer qui est géré par les coopératives.
L’affaiblissement de l’Etat et le discrédit des élites ont réveillé des contradictions qui existaient depuis des années. Nous savions depuis toujours que des millions de sahéliens venaient car leurs villages étaient envahis et détruits par le sable. Leur première action n’est pas d’aller en France, ni en Europe, mais en Côte d’Ivoire car il y a de la terre, ils peuvent cultiver et donc il y a un afflux massif qui conduit à une pression foncière extrêmement grave sur les terres existantes. Dans l’histoire de notre pays la production de cacaoyer et caféier a été essentiellement basée sur l’immigration étrangère qu’on a favorisée, qu’on a suscitée et aujourd’hui ce n’est plus possible et donc, comme partout, quand il y a la crise l’étranger devient le bouc émissaire.
Peux-tu nous parler de la société civile?
En terme d’appréciation globale, la notion de société civile a été difficile à appréhender en Côte d’Ivoire. Non pas qu’elle n’existe pas mais les organisations ont mis du temps à se construire car auparavant le pays était considéré comme pays riche et une organisation de la société civile est censée venir en aide à des pauvres. Donc cela a mis du temps car les gens ne se considéraient pas comme des pauvres et ne sentaient pas la nécessité d’organiser la société civile. Maintenant il y a des milliers d’organisations car la pauvreté a gagné le pays profondément. Une structure comme le FNDP est la résultante de la montée en flèche de l’endettement extérieur. En effet, la Côte d’Ivoire qui n’avait qu’à peine 270 millions de dettes en 1970 se trouve aujourd’hui endettée à hauteur de plusieurs milliards de dollars.Le service de la dette a absorbé jusqu’à 30-35% du budget. Evidemment, les ressources consacrées à payer le service de la dette sont des ressources qui servaient au développement, aux programmes sociaux, à l’éducation, à la santé. Le FNDP a eu une activité positive en s’inscrivant dans la lutte contre la dette et la pauvreté qui est devenu le credo de beaucoup d’organisations. Nous avons, dans ce cadre là, fait des conférences et même un audit citoyen; nous espérons avec d’autres, après avoir suscité des vocations et permis à des gens de prendre conscience, arriver à mettre en place un observatoire. La dette est le nœud gordien des problèmes de la Côte d’Ivoire. Nous devons faire un audit et savoir ce qu’on doit vraiment et à qui, définir la dette souveraine et la dette odieuse et illégitime, pour repartir sur des bases plus constructives, c’est-à-dire des bases sociales répondant aux aspirations des travailleurs, des paysans des jeunes.
Quelle est ton appréciation sur les élections présidentielles?
Officiellement il y a 14 candidats, mais parmi ceux-ci en fait il y a 3 personnes capables et susceptibles de pouvoir gagner. Ce qui nous intéresse ce ne sont pas les hommes, mais les programmes. Or, du point de vue des programmes, malheureusement à l’Ouest rien de nouveau.On ne peut pas dire aujourd’hui en Côte d’Ivoire qu’il y a une droite et une gauche car du point de vue des discours et de l’idéologie défendue la «défense de la patrie» c’est le versant front populaire de l’ivoirité. Donc d’un côté comme de l’autre, ce sont les mêmes discours, il n’y a pas de réponse juste politiquement de gauche qui corresponde à la situation qui se présente au pays, que ce soit la question l’immigration qui est une question essentielle dans ce pays, la question de la scolarisation, de l’instruction publique, la santé, la souveraineté et indépendance nationale. La question de la lutte contre l’impérialisme, n’est pas directement posée, on la pose en biais: ceux qui veulent l’indépendance qu’ils viennent avec nous, mais quelle indépendance et avec quel contenu?
Pourtant Laurent Gbagbo apparaît comme le candidat de la gauche prêt à en découdre avec la politique néocolonialiste de la France?
Nous avons été proches politiquement de Gbagbo nous avons travaillé ensemble en France, mais la compréhension qu’il a de la lutte politique est une compréhension personnelle. Du point de vue de sa trajectoire, il s’est revendiqué de gauche, il a même dit qu’il était socialiste, mais la pratique politique qu’il développe n’a pas montré que c’est une pratique socialiste. Les politiques mises en œuvre ne sont pas fondamentalement différentes de la droite. Avant l’arrivée de Gbagbo au pouvoir en 98 la Côte d’Ivoire était déjà éligible à l’initiative pays pauvre très endetté. Il a poursuivi cette politique qui est une politique de droite, elle n’a rien de nouveau. Les politiques de décentralisation dont on parle étaient déjà mises en œuvre par les pouvoirs précédents qui parlaient des région et des communes. Quand Gbagbo est venu, il a plutôt fait des départements et communes. Nous savons que dans le programme d’ajustement structurel c’était une demande, donc ce n’est pas une initiative personnelle propre à Laurent Gbagbo en tant que leader politique et à son parti en tant qu’organisation. Il aurait été étonnant que la France ne réagisse pas si nous voulons nous émanciper, nous devrions être prêt à affronter la France sur le terrain de la lutte anti-impérialiste, mais en fait c’est Laurent Gbagbo qui a fait appel à la France qui a voulu activer les accords de défense que nous appelons des traités coloniaux, ce n’est pas quelqu’un d’autre. Nous attendions de lui qu’il les abroge et non qu’il fasse appel à la France pour qu’elle les applique. Donc quand on entend dire que quelqu’un a des oppositions avec la France d’emblée la réaction c’est de se ranger derrière lui mais et il faut fouiller un peu et on s’aperçoit vite que cela ne pas allé très loin. Même sur la souveraineté monétaire il a dit qu’il ne faut pas saborder le FCFA parce que c’est un instrument incontournable de coopération, d’intégration régionale. Sur la question de la défense il dit qu’il veut construire un instrument de défense digne de la Côte d’Ivoire avec tout le monde, y compris avec la France.
Qu’avance le Parti du Travail comme mot d’ordre et revendications?
Nous, nous disons qu’aujourd’hui l’objectif politique immédiat c’est la souveraineté et la conquête de l’indépendance nationale totale en Côte d’Ivoire. Deuxième élément, c’est la liquidation de l’Etat semi-colonial, l’abrogation de la constitution actuelle et une assemblée constituante avec un gouvernement provisoire. Parce que les gens ont des aspirations immédiates, par rapport à l’école on dit: «pas un sou pour l’école privé en Côte d’Ivoire». L’école privée est financée à la hauteur de 50 milliards, l’Etat oriente les jeunes gens qui réussissent l’entrée en 6e vers l’école privée, pour nous tous les fonds publics pour l’école publique. Deuxièmement instruction publique obligatoire et gratuite, qui s’inscrirait dans la lutte contre l’analphabétisme et ouvrirait la possibilité à tout le monde de pouvoir lire et écrire. Concernant les salaires, déblocage immédiat pour rattraper le niveau et indexer les salaires sur le coût de la vie, ce n’est pas encore adopté par tous les militants mais c’est l’essentiel de ce que nous avons à dire.