Publié le Lundi 27 juin 2011 à 09h44.

Espagne : l’état de rébellion est parti pour durer

« Quand ceux d’en bas se bougent, ceux d’en haut tremblent »

Les marches et les manifestations qui ont parcouru d’innombrables villes et villages espagnols le dimanche 19 juin, autour de slogans tels que « Contre la crise et le Capital » et « Non au Pacte de l’Euro », représentent une avancée extraordinaire par rapport à la mobilisation lancée il y a un peu plus d’un mois. Cela nous remplit d’espoir quand à l’évolution et la centralité que peut acquérir ce mouvement du 15-M dans le court terme.

En effet, les protestations du 15 mai semblaient initialement être circonscrites autour de son seul réseau promoteur, qui dénonçait la « caste politicienne ». Par la suite, les revendications les plus médiatisées atteintes par la méthode du « consensus » ne semblaient pas s’attaquer aux racines du problème soulevé par cette irruption massive dans les rues (« Nous ne sommes pas des marchandises aux mains des politiciens et des banquiers »). Aujourd’hui, ce mouvement s’est transformé en un mouvement de masse qui ne remet pas seulement en question la légitimité acquise dans les urnes du 22 mai par les grands partis, mais qui s’attaque ouvertement à la construction européenne actuelle, qui veut en finir avec les restes d’un Etat providence de plus en plus rachitique.

Ainsi, ensemble avec la démonstration largement établie qu’il est possible de faire de la politique autrement au moyen d’un niveau très élevé d’auto-organisation et d’assemblées de discussions, parfois interminables, nous avons également assisté à l’élargissement d’un répertoire d’actions sans cesse plus variées dont les campements et les occupations de places d’abord, les blocages des expulsions de logements et des réunions des institutions municipales et régionales ensuite, ont été les plus emblématiques.

Même la tentative de criminalisation du mouvement à Barcelone le 15 juin dernier - du fait d’affrontements violents très probablement causés par la provocation policière – n’est pas parvenue à briser la légitimité d’actions de désobéissance civile non violente et à réduire la participation aux manifestations du 19 juin.

Parallèlement, nous avons vu se diffuser dans tout le pays, grâce aux réseaux sociaux, une longue liste de revendications qui, comme cela s’est déjà produit dans le passé, représente un véritable « cahier de doléances ». Ce cahier exprime ce pourquoi les gens ont décidé de sortir dans la rue dans un « état de rébellion », comme l’a très justement défini il y a peu Enrique Dussel. Et c’est la même « dignité enragée » qui s’étend à l’échelle globale, également en Europe, face à « l’état d’exception économique et social ».

La facilité avec laquelle le rejet du Pacte de l’Euro a été intégré par le mouvement du 15-M ainsi que la convergence, comme ce fut le cas à Madrid, avec des plateformes qui préparaient depuis longtemps déjà ce 19-J, indiquent une élévation rapide de la conscience collective où domine, parmi la grande majorité des personnes qui participent au Mouvement du 15-M, une volonté partagée de lutter pour une démocratie participative et pour la justice sociale. Il s’agit là d’une processus encore inachevé qui s’enrichi constamment avec les apports venant de tous les secteurs qui cherchent à répondre à toutes les injustices qui existent dans cette société, ce qui se concrétise au travers des revendications concrètes et argumentées élaborées par les commissions de travail et les assemblées.

C’est pour cela que tant de commentateurs et faiseurs d’opinion - et y compris certains intellectuels de gauche -  se trompent quand ils se limitent à faire une photographie statique de ce mouvement ou quand ils se demandent qui se trouve derrière lui. Ils ignorent le fait que nous sommes devant un nouveau sujet émergent, un processus en construction permanente et qui nous surprend à chaque pas - au-delà des fautes inévitables et anecdotiques – de par sa capacité d’innover et de mélanger autant de sensibilités.

Une bonne preuve de cette erreur de se pencher sur une photo statique est donnée par l’article de Bonifacio de la Cuadra dans « El País » du 20 juin (« Le 15-M, plus démocratique que de gauche ») et dans lequel il affirme que « les protestations du 15-M ne sont pas de gauche ». Et c’est précisément le lendemain de la publication de cet article que le mouvement à commencé à diffuser ses critiques et ses dénonciations du « Pacte de l’Euro » à partir d’une optique qui se situe clairement à gauche. Bien entendu, il faut également savoir ce que l’on entend avec ce terme et le libérer de toute la charge conventionnelle dominante afin de l’associer clairement à ce qui vient de « ceux et celles d’en bas ».

Les actions prévues à l’occasion des débats parlementaires sur la réforme de la négociation collective ou sur « l’Etat de la nation »; les marches qui partent de plusieurs villes pour converger à Madrid le 23 juillet prochain ; la préparation d’une nouvelle journée de mobilisation pour le 15 octobre et la perspective d’une grève générale avant la fin de l’année, tout ce calendrier de mobilisations confirme la sensation de force collective et de légitimité sociale atteint aujourd’hui et la ferme volonté de poursuivre une lutte qui, comme la crise systémique, sera dans nul doute dure et prolongée.

Car il faut à nouveau rappeler que nous sommes devant la crise la plus grave du capitalisme, que ce système s’affronte à la menace d’une débâcle de l’économie grecque emportant avec elle l’Euro et d’une insurrection populaire non violente du peuple grecque qui peut se répandre à d’autres pays du continent.

Nous assistons ainsi à la crise de légitimité de tout un système et au projet de construction européenne. Ce projet, qui prend l’eau de toute part, cherche plus que jamais à s’attaquer aux plus faibles pour tenter de survivre. Nous devons nous préparer à passer de la résistance actuelle au début d’un processus de rupture qui pointe vers un autre monde et une autre Europe possibles. La solidarité et la convergence avec le peuple grec face au chantage exercé par l’UE et le FMI est aujourd’hui la tâche principale pour tous/tes les indignéEs.

Jaime Pastor est membre de la rédaction de la revue « Viento Sur »

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