Malgré un plan d’austérité aux conséquences dramatiques pour la population, la crise est loin d’être terminée. Aujourd’hui, les classes dirigeantes craignent un effet domino. La seule solution est l’annulation de la dette. Il y a encore quelques jours, Evangélos Vénizélos était au service des marchands d’armes. Ministre de la Défense, il annonçait par exemple, en février, l’achat à Israël de bombes « guidées » SPICE pour équiper les chasseurs aériens grecs. 100 millions d’euros viendront ainsi gonfler la lourde facture militaire de la Grèce, 5e importateur mondial d’armement.
Vénizélos vient d’être nommé vice-Premier ministre et ministre des Finances à l’occasion d’un remaniement gouvernemental visant uniquement à resserrer les rangs du Pasok pour faire passer un nouveau plan d’austérité au Parlement, le 28 juin. L’homme a bien compris sa mission : « Je quitte le ministère de la Défense pour entrer dans une véritable guerre. » Celle que Papandréou et l’Union européenne ont déclenchée contre le peuple grec. Et pour que les choses soient plus claires encore, le FMI a demandé lundi aux dirigeants européens de cesser leurs « enfantillages improductifs », puis a réécrit leur dernier communiqué sous forme d’ultimatum. Chacun joue donc bien sa partition. Mais la symphonie déraille. L’effet récessif des plans de rigueur est plus important que ne l’avaient estimé les autorités. Le PIB grec diminue pour la troisième année consécutive (-2 % en 2009, -4,5 % en 2010, -3,1 % prévu en 2011), tandis que le taux de chômage s’envole à 16 %. Contrairement à ce qui était prévu, l’État grec ne pourra pas emprunter sur les marchés financiers en 2012. Le pseudo-plan de sauvetage mis en place par l’Union européenne est donc un échec. Avant son adoption, le taux d’intérêt des emprunts publics à deux ans culminait à 6,5 %. Il atteignait 12 % début 2011, 20 % en avril et... 30 % ces derniers jours. Les dirigeants européens savent que la restructuration est inévitable. Seuls le calendrier et les modalités font actuellement l’objet de négociations. Angela Merkel explique depuis sept mois que les créanciers privés doivent contribuer au coût de la restructuration de la dette. Aujourd’hui, tout en réaffirmant que cette contribution doit être « substantielle », elle précise qu’il n’existe « aucune base légale pour une participation obligatoire » des créanciers. Pourquoi ?
Les dirigeants tentent de trouver une issue sans légitimer les revendications des indignés de tous pays en faveur de la réquisition des banques ou d’une répudiation des dettes publiques. Les classes dominantes aimeraient toutefois limiter la contagion de la crise. Or, la plupart des titres de créance grecs sont détenus par des banques européennes. Celles-ci ont encore le droit de valoriser ces créances à leur coût d’acquisition. Mais cette fiction comptable va bientôt se dissiper, provoquant des effets systémiques que nul ne peut évaluer avec certitude. Une des sources d’inquiétude provient des « produits dérivés » de la dette grecque. N’étant pas téméraires, les acheteurs de titres souverains ont acquis des assurances (les CDS : Credit Default Swap) afin de se protéger contre le risque de défaut. Mais dans le merveilleux monde de la finance globalisée, l’assureur est diffus : c’est en fait un ensemble de spéculateurs. Effet boule de neigeLa restructuration grecque pourrait donc avoir des répercussions en cascade, comme en 2008 lorsque la crise des subprimes avait été démultipliée par la « titrisation ». Pour éviter un tel scénario, les dirigeants insistent sur l’idée que la restructuration doit se faire « sur une base volontaire ». En effet, avant de rembourser un assuré, tout assureur vérifie que le risque n’a pas été encouru volontairement mais provient bien d’un événement non prévu. En acceptant que son débiteur le rembourse moins, un créancier perdrait donc sa couverture d’assurance. L’effet boule de neige serait évité. C’est du moins ce que souhaite le président de la BCE, Jean-Claude Trichet. Mais l’interprétation du caractère « volontaire » de la restructuration est entre les mains d’une association internationale (l’ISDA), composée... de banquiers et financiers.
Quand bien même le risque lié aux CDS serait neutralisé, la propagation pourrait emprunter d’autres canaux. L’accélération de la crise grecque intervient dans un contexte très tendu. En Espagne, début juin, la plus grande banque du pays (Santander) n’est parvenue à placer que la moitié de son émission obligataire d’un milliard d’euros. Quelques jours plus tard, Telefonica a dû annuler l’introduction en Bourse d’une de ses filiales. La semaine dernière, les titres publics belges, puis italiens, ont été rétrogradés par les agences de notation. La crise va se poursuivre. L’urgence politique est d’unifier les mouvements pour l’annulation des dettes illégitimes et de montrer qu’une issue progressiste implique la remise en cause de la libre circulation des capitaux et de la propriété privée du système bancaire.
Philippe Légé