C’est une des nouvelles obsessions de l’État d’Israël : la lutte contre les… cerfs-volants. Les PalestinienEs de Gaza font en effet usage, depuis plusieurs semaines, d’une nouvelle « arme » : des cerfs-volants lestés de matériau inflammable qui, lancés depuis la bande de Gaza vers les territoires israéliens, déclenchent des départs de feu dans ces derniers.
La « menace » est prise très au sérieux par les autorités israéliennes qui, le ridicule ne tuant pas, n’ont pas hésité à dénoncer, par la voix du ministre de la Sécurité intérieure Gilad Erdan, des « cerfs-volants terroristes » (sic).
Révélateur
La chose pourrait prêter à sourire si elle n’était pas un énième révélateur du drame qui se noue dans la bande de Gaza. Plus de 130 mortEs, abattus par les snipers de l’armée israélienne, depuis le 30 mars et le début de la « Marche du Retour », des dizaines de milliers de blesséEs et 2 millions de personnes toujours victimes d’un siège aux conséquences de plus en plus tragiques.
Une situation et des événements face auxquels, et c’est une bonne nouvelle, les PalestinienEs ne se résignent pas, faisant preuve chaque jour d’une imagination débordante pour élaborer des stratégies de survie, de débrouille, et pour tenter malgré l’écrasante disproportion dans les rapports de forces, d’infliger des pertes, aussi symboliques soient-elles, à l’État d’Israël.
Armes du pauvre
Cerfs-volants contre drones, ballons gonflés à l’hélium contre chasseurs F16 : l’image est forte, et nul doute que ce qui préoccupe Israël n’est pas l’impact « militaire » des cerfs-volants et des ballons – même si ces « cocktails molotov volants » ont provoqué des incendies sur plusieurs centaines d’hectares – mais le rôle symbolique de ces nouvelles armes du pauvre face à la toute-puissance de l’armée israélienne.
Les propos d’un jeune « lanceur de cerfs--volants », rapportés par Libération début juin, sont explicites : « Ça coûte une poignée de shekels [monnaie israélienne] de faire un cerf-volant, et on est tous au chômage, on n’a que ça à faire. On devient meilleur à chaque fois, et on n’a aucune raison de s’arrêter. » Et d’ajouter : « On va brûler leurs champs, leurs fermes, jusqu’à ce qu’ils nous laissent rentrer chez nous. »
Un message au monde
« Nous considérons l’usage de ballons et de cerfs-volants incendiaires avec la plus grande gravité, et continuerons de sévir pour empêcher leur utilisation » : qui aurait pu s’attendre à lire, dans un communiqué officiel de l’armée israélienne, les mots « cerfs-volants » et « ballons » ? Les jeunes PalestinienEs font en réalité un formidable pied-de-nez aux autorités politiques et militaires israéliennes, si fières de leur dispositif anti-roquettes (« Dôme d’acier ») et désormais impuissantes face à des bouts de bois, des morceaux de tissu et de l’essence.
Bien évidemment, la créativité des jeunes Gazaouis ne suffira pas à modifier le rapport de forces. Mais elle rappelle à qui l’aurait oublié que malgré le siège, malgré la répression, malgré la crise et les divisions du mouvement national palestinien, Gaza vit, Gaza ne se résigne pas, et qu’une nouvelle génération est là et fera tout pour se faire entendre. Un message au monde, mais aussi une adresse au mouvement de solidarité.
Julien Salingue