Publié le Mardi 16 janvier 2024 à 11h00.

Grande-Bretagne : ce que dit du système de santé la grève des médecins en formation

La grève de six jours, début janvier, des médecins en formation est la plus longue de l’histoire du National Health Service (NHS). Ces médecins qui ont suivi cinq années d’études de médecine doivent ajouter en moyenne dix ans pour devenir consultant, c’est-à-dire spécialiste, dont la titularisation est protégée et le salaire supérieur.

Les médecins débutants, même après toute leur formation, commencent dans les hôpitaux avec un salaire horaire d’environ 14 livres sterling, soit quelques livres seulement au-dessus du salaire minimum officiel. Ils effectuent la quasi-totalité du travail quotidien dans les hôpitaux et travaillent souvent au-delà de leurs heures normales de travail. Les effets de leurs récentes actions montrent que le NHS ne peut fonctionner correctement sans leur travail et leur engagement.

Une demande d’augmentation des salaires de 35 %

Au cours de l’année écoulée, les infirmierEs, les ambulancierEs, les consultantEs et d’autres membres du personnel du NHS ont mené de nombreuses journées de grève. Dimanche dernier, sur la BBC, Rishi Sunak, le Premier ministre conservateur, a déclaré à tort qu’il avait résolu tous les conflits au sein du NHS. Les infirmierEs et les médecins prévoient d’organiser d’autres scrutins de grève. Des recours juridiques sont également en cours.

Le problème essentiel à l’origine du conflit des médecins en formation et d’autres conflits est le grave sous-financement du système national de santé. L’augmentation du nombre de personnes âgées ayant des besoins de santé, ainsi que les effets de la pandémie de grippe aviaire, signifient que le NHS a besoin d’augmentations supérieures à l’inflation juste pour tenir le coup. L’inflation a atteint des niveaux plus élevés (11,2 % et plus) en Grande-Bretagne que dans le reste de l’Europe. Aujourd’hui, elle est encore supérieure à 5 %. Au fil des ans, les rémunérations des médecins en formation ont été bien inférieures à l’inflation. C’est pourquoi ils et elles réclament un ajustement salarial de 35 % afin de rétablir le niveau de leurs salaires.

Pour les personnes ayant besoin de soins médicaux, c’est la crise. Les ambulances doivent faire la queue avec les patientEs devant les hôpitaux en attendant qu’un lit se libère. Les patientEs sont accueillis et gardés dans les couloirs. La Grande-Bretagne compte moins de lits par habitant que la France ou l’Allemagne. Les lits des hôpitaux sont bloqués – occupés par des personnes âgées qui ne peuvent pas sortir de l’hôpital en toute sécurité parce qu’il n’y a pas de place disponible pour elles dans un établissement résidentiel ou une maison de repos. Le secteur des soins aux personnes âgées – tout comme les logements résidentiels pour toutes les personnes ayant des besoins particuliers – est de plus en plus privatisé et exploité à des fins lucratives. Même les fonds spéculatifs investissent aujourd’hui dans des groupes de maisons de retraite à l’échelle régionale et nationale. Les systèmes de soins sont fragmentés et fonctionnent en dehors de tout plan rationnel. La qualité est très inégale, comme le montrent les révélations régulières d’abus dans la presse et la télévision.

Lutter contre les inégalités sociales de santé

L’incapacité du gouvernement à freiner la production de l’agro-industrie et la distribution d’aliments ultra-transformés riches en sucre et en sel contribue à l’épidémie d’obésité et de diabète qui pèse également sur les ressources du NHS. D’une manière générale, les gouvernements conservateurs et travaillistes n’ont rien fait pour empêcher l’accroissement des inégalités sociales et de la pauvreté en Grande-Bretagne. Un rapport récent de l’Institute of Health Equity de l’University College London, dirigé par Sir Michael Marmot, a calculé que les politiques d’austérité menées depuis 2010 ont entraîné au moins un million de décès prématurés et inutiles.

Par conséquent, la lutte des médecins juniors pour un salaire décent et équitable s’inscrit également dans le cadre d’une campagne plus générale visant à mettre en place un système de santé national capable de répondre à tous ces besoins croissants. 2024 est une année électorale, et il est très probable que le Parti travailliste de Kier Starmer soit au gouvernement à l’automne prochain. Il s’est engagé à réduire les listes d’attente pour les soins électifs (c’est-à-dire non urgents), qui sont actuellement au nombre stupéfiant de 7,7 millions, et qui ne cesse de s’allonger.

Vers une privatisation du système de santé ?

En raison de la crise du système national de santé, de plus en plus de personnes se tournent vers les soins médicaux privés. La part des soins privés est passée de 11 % à 13 % entre 2020 et 2022. Personnellement, je connais un certain nombre de personnes qui sont totalement opposées aux soins privés et qui veulent être traitées par le NHS, mais qui sont obligées de payer, faute de quoi leur douleur persistera pendant un an ou plus.

Le Parti travailliste a déclaré publiquement qu’il ne répondrait pas à la demande de rétablissement des 35 % des médecins juniors et n’a proposé que des augmentations limitées du financement, ce qui est totalement inadéquat par rapport aux besoins existants. Starmer a empêché tous les membres de son cabinet fantôme de se rendre sur les piquets de grève des travailleurEs de la santé. Comme on peut le voir sur les photos, de nombreux militantEs locaux des syndicats, des groupes de gauche et du Parti travailliste ont défié cet édit.

Les travaillistes ont depuis longtemps renoncé à remettre en question les services de santé privés qui opèrent dans les locaux du NHS et choisissent les procédures les plus rentables. Si les médecins en formation ne sont pas payéEs, nombre d’entre eux et elles choisiront de travailler dans le privé. Wes Streeting s’est récemment demandé si les alarmes annuelles des médecins du NHS à propos des dangers de la crise hivernale n’étaient pas en réalité une manière de crier au loup. De même que certains se sont demandés s’il n’y avait pas une complaisance interne au sujet de la « réforme » du NHS. Il a déjà déclaré que l’accroissement du rôle du secteur privé ne poserait pas de problème aux travaillistes.