Après des années de social-libéralisme chez les travaillistes, voici que Jeremy Corbyn, un représentant du « vieux Labour », est donné gagnant dans les sondages pour devenir le nouveau dirigeant de ce parti. Que se passe-t-il ?
Le programme de Corbyn est clairement à gauche : contre la privatisation du système de santé, renationalisation du rail, de la poste et de l’électricité, arrêt des politiques d’austérité, investissement massif dans les services publics, désarmement nucléaire...
Sa campagne a rencontré un immense succès, au sein du parti travailliste et bien au-delà. 2 000 personnes à Leeds, 1 600 à Manchester, dans les dizaines de villes où il a parlé, ce sont souvent les meetings politiques les plus importants depuis des décennies. Un succès que personne n’avait prévu, surtout pas les membres de la direction du Parti travailliste.
Persuadés qu’ils avaient perdu les dernières élections à cause d’une campagne « trop à gauche », ils ont voulu « recentrer » encore plus le parti et assurer l’élection d’un nouveau leader plus « modéré ». Ils ont changé les règles de l’élection pour réduire le poids des syndicats, puis, convaincus que le grand public est plus « modéré » que les membres du parti ils ont ouvert le droit de vote aux primaires à qui voudrait payer 3 £ (4 euros), à leur très grand regret aujourd’hui ! Car depuis, plusieurs syndicats, dont les deux plus importants, ont appelé à voter Corbyn, et l’écho grandissant de sa campagne a poussé de plus en plus de gens à s’inscrire pour voter, dont beaucoup pour Corbyn.
La réaction de la droite du parti mais aussi des médias oscille entre mauvaise foi, mensonges et attaques violentes. Tony Blair s’est fendu d’un « Si c’est en écoutant votre cœur que vous votez Corbyn, alors vous avez besoin d’une greffe de cœur ! ». On l’a accusé d’être proche de l’IRA ou d’être antisémite pour avoir soutenu les causes irlandaise et palestinienne, on a dit que les inscrits à 3 £ étaient des « infiltrés » de la droite ou de l’extrême gauche et on a même évoqué une possible annulation de l’élection…. Mais plus Corbyn est attaqué, plus sa popularité augmente et les inscriptions à 3 £ ou les adhésions n’ont pas arrêté. Au final, 600 000 personnes pourront voter, 180 000 en 2010 !
Politisation et radicalisation
Corbyn n’a rien d’une figure charismatique, mais son discours rentre en résonance avec la colère de beaucoup de gens, et paraît une bouffée d’air dans un monde politique dominé par des carriéristes prêts à tout pour être élus. Ce qui plaît, c’est non seulement l’homme politique intègre - parlementaire depuis 30 ans, qui a voté plus de 500 fois contre son gouvernement au pouvoir, et un des rares députés à avoir voté contre la guerre en Irak -, mais aussi le militant de terrain, président de la Coalition Stop the War, présent sur les piquets de grève, arrêté lors de manifestations, etc.
Du coup, Corbyn a attiré un public très divers : des anciens électeurs travaillistes écœurés par la dérive blairiste ou qui avaient été tenté par le parti anti-européen UKIP, mais aussi des jeunes pour qui ses idées semblent simplement de bon sens.
Sa réputation de « gauchiste » n’est en réalité que le reflet du virage à droite de l’ensemble de la société et du Parti travailliste. Le programme de Corbyn n’est guère différent de celui de la social-démocratie d’il y a 50 ans. Néanmoins, il s’agit d’une phase de politisation et de radicalisation inattendue et très positive pour des centaines de milliers de personnes.
Bien entendu, tout cela n’est pas sans problème, mais soulève en même temps de nouvelles questions fort intéressantes, que Corbyn gagne ou pas. Nous y reviendrons.
Ross Harrold