Publié le Mercredi 1 février 2023 à 21h00.

Israël/Palestine : le mythe du « cycle de la violence »

Les PalestinienEs mettent en avant la brutalité israélienne pour demander la fin de leur oppression tandis que les IsraélienEs mettent en avant la violence palestinienne pour justifier cette oppression : un article du journaliste Amjad Iraqi, Palestinien d’Israël.

Pourquoi lancer une incursion dévastatrice, ciblant les militantEs mais blessant d’innombrables civils, alors qu’il est prouvé que cette méthode exacerbe la violence au lieu de la contenir ? À quoi bon menacer les assaillants de démolir leurs maisons alors que des milliers d’innocentEs, y compris les propres familles et voisins des assaillants, sont également menacés du même sort ? Pourquoi mettre des armes entre les mains de plus de civils alors qu’il y a déjà un soldat, un policier ou un agent de sécurité armé dans chaque rue ?

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La plupart des IsraélienEs n’ont pas pris la peine de se poser ces questions lorsque l’armée a effectué un raid sur le camp de réfugiéEs de Jénine jeudi matin [26 janvier], tuant 10 personnes et causant des destructions gratuites. Ils n’ont certainement pas voulu se poser ces questions le lendemain, lorsqu’un jeune Palestinien a abattu sept Israéliens dans la colonie de Neve Yaakov à Jérusalem-Est, ou lorsqu’un jeune Palestinien de 13 ans a ensuite abattu et blessé deux colons israéliens dans le quartier de Silwan. Et ils ont à peine soulevé ces questions lorsque, comme à l’accoutumée, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a annoncé les mesures habituelles du gouvernement pour « dissuader » de nouvelles attaques, qu’il s’agisse de punir les membres de la famille des assaillants, d’approuver davantage de permis de port d’armes ou de construire de nouvelles unités de colonisation.

Pour de nombreux IsraélienEs, il est préférable d’éviter de telles réflexions à propos des « réponses » habituelles de leurs dirigeants afin de préserver une vision du monde simple et rigide : les PalestinienEs nous détestent sans raison, ils nous attaquent sans raison, et nous n’avons donc pas d’autre choix que de les écraser. Les IsraélienEs plus critiques peuvent au contraire se lamenter sur l’aphorisme usé d’un « cycle de la violence », cherchant à établir une certaine parité morale de responsabilité et de préjudice entre les deux parties.

Il n’y a pas de « cycle »

Mais il n’y a pas de « cycle » ici. De la violence structurelle à la violence physique, la violence est une expérience constante et quotidienne pour les PalestinienEs, et beaucoup moins pour les IsraélienEs juifs. Peu de médias, par exemple, ont traité le fait qu’une trentaine de Palestiniens ont déjà été tués le mois dernier, et s’ils l’ont fait, ce n’était qu’à la lumière des meurtres d’Israéliens le week-end dernier. De nombreux IsraélienEs n’ont pas entendu dire que, samedi soir [28 janvier], des colons ont incendié et détruit des biens palestiniens dans toute la Cisjordanie occupée — un prétendu « prix à payer » [suite à l’attaque de Neve Yaakov] qui est en réalité déjà infligé à des villages chaque semaine. […]

Le mythe selon lequel la violence fait autant de mal aux PalestinienEs qu’aux IsraélienEs occulte le fait qu’une partie tend en fait à bénéficier de ce « cycle » au détriment de l’autre. La violence est à la fois un moyen et un prétexte pour les autorités foncières israéliennes afin de réduire les quartiers palestiniens et d’étendre les colonies juives, comme c’est le cas actuellement à Jérusalem ; ou pour les politiciens israéliens, y compris Netanyahu et Itamar Ben Gvir, de montrer à leurs électeurEs qu’ils traduisent leur rhétorique agressive en action ; ou pour les propagandistes de rallier la sympathie internationale derrière Israël et ses actions militaires ; ou pour le public israélien de se convaincre qu’un régime ethno-national est justifié et nécessaire.

Des vies qui ne comptent pas ?

Ces fruits de la violence, pour dire les choses simplement, sont dérivés de l’asymétrie flagrante du pouvoir qui se trouve au cœur de ce prétendu « conflit ». Grâce à des ressources massives et à une impunité perpétuelle, une partie est capable de s’abstraire physiquement et psychologiquement des moyens inhumains par lesquels elle domine l’autre. Les PalestinienEs sont ainsi contraints de vivre sous le poids d’être considérés comme « tuables » — des objets anonymes et jetables sur lesquels la violence peut être infligée sans sourciller. Il est révélateur que la prise de conscience internationale de la mort et de la souffrance des PalestinienEs, si tant est qu’elle ait lieu, soit souvent subordonnée au fait qu’un préjudice soit causé à l’autre partie ; de la couverture médiatique générale aux condoléances des diplomates, les IsraélienEs passent toujours en premier.

Ce déséquilibre des forces est à l’origine d’une différence fondamentale dans la façon dont chaque partie a tendance à parler de la violence de l’autre : lorsque les PalestinienEs dénoncent la brutalité israélienne, ils exigent la fin de leur oppression ; lorsque les IsraélienEs pointent du doigt la violence palestinienne, c’est généralement pour justifier cette oppression. Il s’agit d’un autre maillon de la chaîne que les PalestinienEs tentent de briser : la croyance mondiale selon laquelle leur vie ne compte que si leur colonisateur le décide.

Traduction J.S.

Version intégrale (en anglais) sur http://www.972mag.com.