Ni les uns ni les autres ne peuvent passer pour des « amis du peuple ». Néanmoins, les divergences sont réelles entre les fractions au sein du régime syrien, au pouvoir depuis 1963. D’un côté, les « réformateurs » (dont la conseillère du président, Buthaine Shaaban) souhaitent préserver les chances de survie d’un pouvoir aux abois, pensant qu’il faudra lâcher un peu de lest pour rendre le régime. plus « acceptable » Cela passe par une réduction de l’arbitraire, de la torture, de la corruption…, mais pour bon nombre d’entre eux aussi, par un rapprochement avec les principales puissances occidentales. De l’autre côté, les « durs » du régime, prenant prétexte de la situation de conflit (réelle) avec l’État d’Israël veulent prolonger indéfiniment le règne de l’autoritarisme et un état d’urgence en vigueur depuis décembre 1962. Le parti Baath, parti d’État au pouvoir depuis 1963, n’avait jusqu’ici pas levé un seul jour cette « loi de l’urgence ». Sous pression depuis la mi-mars 2011 d’un mouvement de protestation populaire, encouragé par l’exemple des révolutions tunisienne et égyptienne, le pouvoir cherche apparemment son chemin entre ces deux voies possibles. En ce moment, il tente en tout cas de ménager la chèvre et le chou, mélangeant menace autoritaire et promesse de « réforme ». Avant le discours du président Bachar al-Assad (qui a succédé à son père, Hafez al-Assad, après sa mort en 2000), le 30 mars dernier, la plupart des observateurs attendaient l’annonce d’une levée de l’état d’urgence dont le régime avait laissé entendre qu’elle était imminente. Mais le président syrien n’en a dit mot, préférant fustiger un « complot » qui serait fomenté par l’étranger et des « éléments infiltrés », cherchant à créer le désordre dans son pays qui devra rester « uni » face à cette menace extérieure. La déception d’une partie de la population était forte. Peu de temps après, la dictature a néanmoins remplacé son Premier ministre, nommant à ce poste, le « technocrate » (formé à Paris) et ancien ministre de l’Agriculture, Adel Safar, puis limogé le gouverneur de Deraa, dans le Sud. Cette ville sur le plateau aride du Haouran a été, à partir du 18 mars, le centre d’une contestation qui a coûté au moins plusieurs dizaines de morts. Lundi, Mohammad Khaled Al Hanousse a été nommé nouveau gouverneur, afin d’effacer (provisoirement) le souvenir de son prédécesseur, adepte de la « manière forte » dans la répression du mouvement populaire. Ces nominations sont censées « calmer » une opposition et une population éprouvées, ces trois dernières semaines, par une répression qui a fauché au moins 123 vies selon les décomptes de la FIDH. Mardi 5 avril, un journal gouvernemental, Techrine, a même exhorté publiquement « certains intellectuels en désaccord avec le régime » au « dialogue » avec celui-ci. Or, depuis que le sang a coulé, certains opposants et observateurs estiment qu’il est trop tard pour ces tentatives. Selon eux, la population ne se laissera plus amadouer par la dictature en place, alors même qu’une partie du peuple syrien se méfiait jusqu’ici de la perspective d’une révolution violente. Ceci à la fois par crainte d’une répression massive et des affrontements interreligieux – ayant à l’esprit les mauvais exemples des anciennes guerres civiles irakienne et libanaise. Depuis, le week-end dernier, après le Sud et Lattaquié (nord-ouest), des protestations massives ont eu lieu aussi dans le nord-est du pays à majorité kurde ainsi que dans les banlieues de la capitale Damas.
Bertold du Ryon