En se retirant de la présidence du parti chrétien-démocrate (CDU), Merkel a, de fait, annoncé la fin de son gouvernement. Il est fort improbable qu’elle soit encore chancelière lors des prochaines élections (2021), date à laquelle elle a prévu de se retirer de la politique.
Il se peut que Merkel ait été prise par surprise, du fait que Schäuble (ancien ministre des Finances et aujourd’hui président de la Chambre des députés) a manœuvré secrètement pour préparer Friedrich Merz à la candidature pour la présidence du parti. Non seulement les deux (Schäuble et Merz) ont de vieux comptes à régler avec Merkel, en plus ils sont d’accord pour appliquer une politique encore plus néolibérale. On se souviendra que Schäuble avait mis le couteau sous la gorge du gouvernement grec, et que Merz est président du conseil d’administration de la filiale allemande de Blackrock, le plus grand gestionnaire de biens du monde entier, et de celui de HSBC -Trinkaus & Burkhardt. Son programme est simple : baisser les taxes pour les entreprises et pour les riches, attaquer les « privilèges des syndicats », fermer les -frontières pour les migrantEs…
Une chute programmée
Il y a, pour le moment, deux autres candidats à la présidence du parti : Jens Spahn (ministre de la Santé), qui est aussi réactionnaire que Merz, mais moins implanté dans les milieux de la grande bourgeoisie, moins expérimenté et en manque de popularité. Annegret Kramp-Karrenbauer (surnommée AKK), secrétaire générale de la CDU, est de loin la favorite de Merkel, mais elle a un désavantage qui pourrait s’avérer décisif : de grandes parties de la CDU désirent un changement de ligne politique afin de stopper l’hémorragie des voix vers l’AfD (extrême droite).
Toutefois la CDU perd aussi des voix en direction des Verts et, si la majorité des délégués du congrès du parti (qui se tiendra en décembre 2018) prend cela en compte, les rapports de forces pourraient basculer. Mais, pour le moment, une majorité des courants pensent que leur parti est devenu trop social-démocrate (ce qui veut dire : pas assez nationaliste).
Si Spahn – et à plus forte raison Merz – est élu président du parti, le plan de Merkel (rester chancelière et voir quelqu’un d’autre présider le parti) ne tiendra certainement pas jusqu’aux prochaines élections, et Merz essayera d’ici un an (donc après les européennes) de remplacer Merkel à la chancellerie. Le vote de censure s’effectue à bulletins secrets, donc il pourrait réunir les voix de la CDU, du FDP (parti libéral de droite) et de l’AfD. Pour cette dernière, ce serait un succès important, puisqu’il scande « Merkel dégage ! » pour … pouvoir mieux fermer les frontières.
Un mécontentement profond
La classe dominante et son appareil gouvernemental n’arrivent plus à dissimuler que les problèmes s’accumulent : la politique contre le réchauffement climatique a échoué (le lignite est massivement exploité en Allemagne, malgré une surproduction d’électricité, le diesel empoisonne, etc.) ; les loyers explosent (35 % d’augmentation à Berlin depuis 2005) et il y a un manque terrible de logements, surtout dans le secteur HLM ; les transports publics sont défaillants ; les installations ferroviaires sont sous-dotées ; il y a un manque criant d’infirmierEs… En résulte une perte de confiance massive dans de larges secteurs de la population. Ce sont surtout les partis de la « grande coalition » (donc CDU/CSU et SPD) qui en subissent les conséquences.
Le SPD est en train de perdre toute raison d’être puisqu’il est prisonnier de sa politique des 30 dernières années. C’est sous le gouvernement Schröder, dans les années 2000, qu’a été mise en place la réforme sociale la plus réactionnaire depuis la Seconde Guerre mondiale. Le petit courant encore un peu social-démocrate avait scissionné pour former, avec le PDS, le parti Die Linke. Depuis des années il n’y a donc plus de courant de gauche au SPD.
La CDU, par contre, peut maintenir sa position dominante même si l’enthousiasme sera faible. Elle a le choix de faire alliance avec le FDP ou avec les Verts (comme dans plusieurs Länder déjà aujourd’hui). Elle peut aussi coopérer avec l’AfD : cela ne se fera pas d’une manière ouverte pour le moment (et pas conjointement avec les Verts), mais cela sera sans doute le cas demain, à l’image de la coalition qui dirige aujourd’hui l’Autriche.
Heureusement il n’y a pas que des raisons de broyer du noir, puisque les résistances dans la rue se sont, dernièrement, renforcées. Et s’il y a, demain, un gouvernement Merz, on ose espérer que les directions syndicales abandonneront leur politique de cogestion totale avec le pouvoir et seront prêtes à un minimum de résistance.
Jakob Schäfer