Publié le Mercredi 18 mai 2011 à 21h05.

Le panafricanisme de Kwamé Nkrumah

Le nationalisme africain ne se limite pas seulement à la Côte d’Or, aujourd’hui le Ghana. Dès maintenant il doit être un nationalisme panafricain et il faut que l’idéologie d’une conscience politique parmi les Africains, ainsi que leur émancipation, se répandent partout dans le continent», déclare dès 1960 celui qui fut le père de l’indépendance du Ghana (ex-Gold Coast) en 1957.

Fils unique d’une mère commerçante et d’un père chercheur d’or, Kwamé Nkrumah est né en 1909 à Nkroful, un village du sud-ouest de la colonie britannique de la Côte d’Or. En 1935, il quitte son pays pour aller étudier l’économie et la sociologie à l’université Lincoln en Pennsylvanie. Là, il découvre les écrits des auteurs noirs Marcus Garvey et W.E.B Du Bois qui alimenteront sa future idéologie. En 1943, il écrit son premier pamphlet anti-colonial Towards colonial freedom, dans lequel il dénonce l’asservissement de l’Afrique. La poursuite de ses études de droit le mène en 1945 à Londres où il ne tarda pas à rejoindre le syndicat des étudiants d’Afrique de l’Ouest et organise la 5e conférence panafricaine de Manchester. Il y rencontre Jomo Kenyatta, futur président du Kenya. Ses textes enflammés, publiés dans le journal Le Nouvel Africain promettent l’unité africaine et font parler de lui: le nom de Nkrumah est désormais synonyme de radicalisme pour l’administration coloniale en Gold Coast.

Dès son retour au pays natal en 1947, Nkrumah prend la tête du nouveau parti pour l’Indépendance l’United Gold Coast Convention, et mène des actions dans tout le pays. Son emprisonnement en 1948 pour agitation politique, lors d’une manifestation contre le gouvernement, lui confère un statut de martyre politique, un statut qu’il cultive d’ailleurs. La pression est grande sur l’administration coloniale qui est obligée de faire des concessions. En 1952, Nkrumah devient le premier ministre de la Côte d’Or et son nouveau parti, le CPP (Convention People’s party) gagne toutes les élections organisées par les Britanniques pour tester les préférences politiques du peuple. Le 6 mars 1957, la Côte d’Or devient indépendante et se rebaptise immédiatement Ghana en hommage à l’ancien empire du Ghana.

A la tête du premier Etat indépendant d’Afrique après le Soudan en 1956, Nkrumah en devient le président en 1960. Il œuvre activement pour la libération des pays encore soumis à la domination coloniale (c’est ainsi qu’il apporta

25 millions de dollars de soutien à la Guinée de Sékou Touré suite à la déclaration de son indépendance en 1958) et tente de réer un embryon d’industrie en créant des usines de transformation partout dans le pays. La même année, la réunion des chefs d’Etat africains se tient à Accra sous l’égide du ghanéen qui affirme la nécessité pour l’Afrique «de développer sa propre communauté et sa personnalité», et son non-alignement aux deux blocs. Il y influencera de jeunes militants africains comme Patrice Lumumba qui voit en cette rencontre sa véritable prise de conscience de la grande force d’une Afrique unie.

La politique extérieure de Nkrumah est toute entière dédiée à la construction de l’unité africaine qu’il pense comme une fusion organique d’Etats Indépendants et non comme leur simple coopération. Il joint l’idéologie à l’acte en tentant une Union des Etats Africains en mai 1961 avec la Guinée de Sékou Touré et le Mali de Modibo Keïta, tous deux en conflit ouvert avec l’ancien colonisateur français . En 1963, Nkrumah sera ainsi l’un des pères fondateurs de l’Organisation de l’Union Africaine qui, toutefois, délaissera vite les idées trop radicales du Ghanéen. En 1964, Nkrumah entend promouvoir sa doctrine, le «consciencisme» (une sorte de matérialisme édulcoré (c’est-à-dire pas nécessairement athée et inspiré du marxisme) qui fera, selon lui, émerger l'Afrique postcoloniale. Empreinte d’un marxisme non orthodoxe associé au concept traditionnel africain de collectivisme, le consciencisme, aujourd’hui rebaptisé «nkrumaïsme» vise en premier lieu «la résurrection des valeurs humanitaires et égalitaires de l’Afrique traditionnelle dans un environnement moderne».

Mais en se tournant de plus en plus vers le communisme, il devint très vite l’ennemi à abattre pour les pays occidentaux qui voient en lui le fer de lance d’une future «communisation» de l’Afrique. Après avoir échappé à deux tentatives d’assassinat, Nkrumah devenu paranoïaque se radicalise, réprimant dans le sang les manifestations, enfermant les opposants et se déclarant «président à vie». Son parcours n’est pas sans rappeler celui de son ami Sékou Touré qui l’accueillera d’ailleurs en Guinée après le coup d’Etat militaire dont il est victime en février 1966. Il meurt quelques années plus tard d’un cancer à Bucarest (Roumanie) en 1972.

Passé du mythe à la décadence, Kwamé Nkrumah n’en reste pas moins un des plus grands penseurs de l’unité africaine. Sa pensée renaît parmi les jeunes générations africaines et influence tous ceux qui croient fermement que l’Afrique doit se tourner vers ses propres valeurs et se libérer du complexe occidental pour être libre et forte.

Moulzo