Publié par Afrique en lutte. La première fois que j’ai rencontré Lila Chouli c’était lors d’une réunion pour préparer le lancement d’Afriques 21, une revue consacrée au continent africain dont l’ambition était de partager l’information sur les luttes et les projets alternatifs qui se développaient sur le Continent.
Lors du tour de table, chacun déclinait l’appartenance à son organisation. Vint le tour de Lila, elle nous dit simplement qu’elle s’intéressait au Burkina Faso et que son métier de correctrice pourrait être intéressant pour la revue. Malgré une présentation plus que modeste, cela m’a impressionné. Peut-être parce que les correcteurs dans l’histoire du mouvement ouvrier ont eu à jouer un rôle particulier, d’intellectuel organique selon la belle expression de Gramsci, ou tout simplement parce qu’ils savent rendre un texte fluide et agréable à lire. Toujours est-il que son travail pour la revue Afrique 21 était à son image sérieux, précis et c’était loin d’être évident pour elle lorsqu’il s’agissait de négocier des modifications d’articles qui à l’évidence étaient mal écrits et que certains refusaient obstinément de changer.
Pour la préparation de la fête de lancement de la revue, nommés responsable des salades de fruits nous avons passé des heures à éplucher les pommes et oranges que les militants libertaires, toujours aussi débrouillards, avaient récupéré aux halles de Rungis (qui fournit la région parisienne en produits alimentaires). En épluchant nos fruits, j’ai mieux connu Lila, sa famille ouvrière qui habite dans le nord de la France, son parcours militant motivé par son aversion du racisme et du colonialisme. Au détour de la conversation j’ai appris aussi qu’elle était chercheuse associée à la chaire sud-africaine d'études sur les changements sociaux à l'Université de Johannesburg. Ce que la plupart des gens auraient dit dès le début, Lila l’a évoqué sans s’appesantir… toujours sa modestie.
Après la fin de la revue, Lila a travaillé sur son ouvrage « Burkina Faso 2011, chronique d'un mouvement social ». Quotidiennement, elle allait à la bibliothèque du centre Beaubourg à Paris pour travailler sur la presse Burkinabé qui relatait le mouvement social de 2011 contre la mort du lycéen Justin Zongo victime de violence policière. Ces manifestations populaires annonciatrices de la révolution qui, trois ans plus tard, déposa en quelques jours Compaoré et donna un sentiment légitime de fierté à toute l’Afrique.
Elle a adoré travaillé avec le collectif de Tahin-Party qui avait publié son ouvrage, elle partagea ce même sentiment contre le mercantilisme, et la société marchande de cette maison d’édition atypique.
Contrairement à beaucoup de camarades qui militent dans le milieu africain, Lila avait des réserves sur Sankara, et si elle est reconnaissait volontiers l’avancé historique de cette expérience pour le Continent, elle formulait aussi des critiques. Dans le jargon des trotskystes des années 70, on aurait dit qu’elle avait une vision luxembourgiste des luttes, en d’autres termes elle avait une confiance envers les masses en lutte et était plus prudente vis-à-vis des organisations politiques sans pour cela y être opposée.
Ainsi, au chômage, elle avait réussi à dégoter un stage de formation d’anglais, lui ayant suggéré l’idée de démarcher des organisations d’extrême-gauche à Londres. Elle a donc fait son stage à la librairie du SWP et a été enthousiasmée par cette expérience. La journée à la librairie, les soirées dans les meetings pour tenir les tables de presse…elle était impressionnée par l’activisme des militants, même si parfois cette expérience a été difficile. Elle m’a raconté un jour qu’elle a éclaté en sanglot à la librairie, face à une remarque désobligeante d’une personne qui s’étonnait qu’elle ne comprenne pas ce qu’elle voulait. Désormais, nous avions un nouveau point commun : nos efforts laborieux et méritoires pour apprendre l’anglais …
Revenue en France elle a mis la même énergie dans son travail à la fondation Gabriel Péri, un think tank proche du Parti Communiste Français, elle a apprécié leur ouverture d’esprit et leur fraternité. A cette occasion, elle a écrit un second ouvrage de dénonciation des conditions de travail et de vie dans l’exploitation des mines d’or au Burkina.
Lors de la révolution au Burkina, Lila pourtant fortement sollicitée, n’a pas ménagé son temps pour nous aider à mieux comprendre cette nouvelle situation.
Lila c’était un mélange de doute de soi, de fragilité et d’une assurance inébranlables dans ses convictions profondes. Ses éclats de rire, son regard, et sa chaleur humaine nous manquent déjà.
Adieu Lila
Paul Martial