Les étudiants conduisent le pays vers la rupture avec le néolibéralisme pinochetiste, consolidé par le gouvernement de l’alliance PS-DC. Après trois mois de manifestations périodiques, ce samedi 3 septembre 2011 au matin, le président Piñera, élu il y a dix-huit mois par la droite héritière de Pinochet, s’est décidé à recevoir à la Moneda (palais du gouvernement) pendant quatre heures les représentants des étudiants, des professeurs, des présidents des universités traditionnelles (existantes avant 1973) et d’une partie des écoliers du secondaire de la Coordinacion Nacional de Estudiantes Secundarios (CONES). Dans une manœuvre classique, Piñera n’a pas convoqué les représentants de l’Assemblée coordinatrice des étudiants secondaires (ACE) qui regroupe les écoliers du secondaire les plus radicaux. Ceux-ci se sont manifestés aux alentours de la Moneda pendant les quatre heures de la réunion en scandant la consigne de « Et va tomber, et va tomber, l’éducation de Pinochet » qui rappelle celle de leurs parents dans les années 1983-1990 lors des manifestations pour faire « tomber la dictature de Pinochet ». Piñera, déjà obligé par le mouvement à remanier le gouvernement le 18 juillet, en écartant le ministre de l’Éducation Joaquin Lavin (Opus Dei) fait face à la croissance massive du mouvement auquel se sont joints les travailleurs, les 24 et 25 août derniers lors de la grève générale appelée par la Centrale unique des travailleurs (CUT) et 82 autres organisations syndicales. Il s’est décidé à recevoir lui-même les représentants des étudiants pour échanger directement sur leurs revendications en surprenant ses ministres, qui étaient partisans de placer la discussion au niveau parlementaire, de façon à le protéger d’une implication directe dans le conflit. Mais Piñera a voulu faire tomber la critique des étudiants qui mettent en évidence que, jusqu’ici, il ne négociait pas et que sa seule réponse était la répression.
Les étudiants, forts de leur expérience de 2006 lors de la « Révolution des pingouins »1, ont appris à se méfier des discussions dilatoires avec les groupes politiques institutionnels n’aboutissant à rien de fondamental. Ils ont donc refusé mi-août de négocier avec le Parlement, voie encouragée par le gouvernement à ce moment-là. Le résultat de la réunion du 3 septembre n’est pas très bon. Camila Vallejos, porte-parole de la Confédération des étudiants du Chili (CONFECH) et leader nationale du mouvement à la sortie de la réunion, a déclaré que les négociations avec le gouvernement vont se poursuivre sans pour autant arrêter les mobilisations. C’est la base de leur méthode depuis le début. Entre-temps, les leaders ont consulté leurs bases sur les positions exprimées par le gouvernement. Camila Vallejos a indiqué que ce sont ses camarades étudiants qui doivent décider si un scénario de table de négociation avec le gouvernement est propice ou pas. C’est à la base de décider des suites à donner. Pour le président des professeurs, Jaime Gajardo, les points qui fâchent n’ont pas encore été abordés : empêcher le profit avec l’enseignement, mettre fin à la « desmunicipalization » des lycées, c’est-à-dire le retour des lycées et universités sous la responsabilité de l’État, et la fin du système de financement partagé (avec la participation des familles). Les écoliers du secondaire, via Rodrigo Rivera, ont indiqué que le planning de négociations qui doit être proposé par le gouvernement sera soumis à débat dans les instances locales et à approbation au niveau national. Pendant ces trois mois de mobilisations, le gouvernement a eu une conduite erratique du conflit. Sans cesse, il a essayé de criminaliser le mouvement. Lors des manifestations, il a infiltré des policiers provocateurs dans les groupes de jeunes marginalisés, très minoritaires, se heurtant à la police, pour justifier le déclenchement de la répression brutale de l’ensemble des manifestants et ensuite interdire les parcours des manifestations par l’Alameda, avenue centrale et symbolique de Santiago, au prétexte de la défense des locaux commerciaux. Le mouvement a emprunté les caractéristiques des mobilisations des Indignados : créatifs, irrévérents, non violents, très courageux face à la répression, avec une organisation horizontale sous contrôle de la base, et farouchement méfiants et sans concessions vis-à-vis des partis de la gauche institutionnelle, y compris du PC, nonobstant le fait que Camila Vallejos est militante des Jeunesses communistes. La réponse répressive du gouvernement a à chaque fois renforcé la mobilisation et l’a finalement élargie à toutes les couches sociales dominées.
Le mouvement ayant commencé par revendiquer le transport gratuit des lycéens et étudiants tous les jours de l’année, a réussi aujourd’hui à mobiliser l’ensemble des oppriméEs sur l’objectif d’une Assemblée nationale constituante, avec notamment, le changement du code du travail et la renationalisation du cuivre pour financer une éducation publique, gratuite, laïque et de qualité.
Patricio, le 4 septembre 20111. Premier mouvement contre la loi de municipalisation de l’éducation, sous le gouvernement de Michelle Bachelet de la coalition de la Concertation, dominée par le PS et la Démocratie chrétienne.