C’est de plus en plus étroitement que la direction de la rébellion libyenne, le Conseil national de la transition (CNT) basé à Benghazi, se laisse associer à la politique des principales puissances impérialistes. Jeudi 05 mai 2011, le «Groupe de contact» - associant les pays qui participent à l’intervention militaire en cours en Libye – réuni à Rome a décidé de créer un «fonds spécial». Ceci pour financer la rébellion libyenne.
On va, ainsi, de compromis en compromissions. Tout d’abord, dans un premier temps allant de la mi-février à début mars 2011, la rébellion libyenne avait rejeté toute forme d’intervention étrangère. «No foreign intervention: Libyan people can manage it alone» («Pas d’intervention militaire, le peuple libyen peut y arriver tout seul», à renverser Kadhafi), pouvait-on lire sur une gigantesque banderole, publiquement déroulé sur un immeuble à Benghazi, le 1er mars dernier. Puis, la position officielle de la rébellion était: soutien aérien par des puissances extérieures – oui; intervention de troupes au sol – non. Cela aussi est désormais dépassé, depuis un bon moment. Depuis que les rebelles sont encerclés à Misrata, la troisième ville de Libye où la situation des enfermés est réellement dramatique, certains de leurs leaders n’arrêtent pas de demander: «Que fait l’OTAN?»; et demandent l’envoi de troupes au sol.
Cette inflexion de leurs positions reflète d’abord une difficulté objective: la rébellion n’arrive pas à venir à bout, militairement, du régime libyen de Mouammar al-Kadhafi. A cela, il existe une explication objective et matérielle. Le terrain, en Libye, n’est pas propice à la conduite d’une lutte de guérilla, pour des raisons purement géographiques. Au Sahara, qui couvre une majeure partie du territoire du pays, des groupes de guérilla ne peuvent trouver des caches, il n’existe ni villages ni sous-bois. Aucune protection n’existe contre les conditions climatiques extrêmes. Cette réalité géographique favorise une armée «classique», structurée et organisée sur le plan logistique, avec des lignes d’approvisionnement derrière le front. Elle défavorise toute rébellion encore désorganisée, et/ou toute entreprise de guérilla.
Il n’en reste pas moins que l’infléchissement politique de la ligne officielle des rebelles pose un énorme problème politique pour l’avenir de la Libye si elle arrive à se débarrasser de l’ancien régime, encore solidement en place dans la partie Ouest du pays. L’annonce, fin mars, de la rébellion qu’elle allait «respecter tous les accords conclus par le régime de Kadhafi» avec l’Europe (surtout l’Italie et la France) - non seulement en matière d’approvisionnement énergétique mais aussi d’internement de migrants jugés «indésirables» en Europe – est un très mauvais signe politique.
Certes, toute la rébellion libyenne ne se résume pas au CNT, un groupe de personnalités coopté (et non pas élu) qui s’est lui-même érigé en porte-parole des rebelles. Après 42 ans de dictature de Kadhafi, les forces politiques sont quasiment inexistantes en Libye, des forces sociales structurées ou des syndicats encore plus. Politiquement, toute opposition doit se chercher encore. En tant que telle, la rébellion contre ce pouvoir est plus que légitime. Mais dans l’absence de toute structuration d’une opposition politique ou sociale, ce sont parfois des anciens piliers du régime de Kadhafi eux-mêmes qui se sont reconvertis en «chefs rebelles». Le CNT est ainsi dirigé par Mustapha Abdeljalal, l’ancien ministre de la Justice de Kadhafi, et le bras militaire des rebelles par Abdel Fattah Younis, qui fut son ministre de l’Intérieur. Bien que leur passage aux rebelles reflète la crise du régime de Kadhafi, pour l’avenir du pays, la Libye mérite certainement mieux…
Bertold du Ryon