Alors que le pays va vers une nouvelle vague qui s’annonce peut-être la plus dévastatrice depuis le début de la pandémie (presque 60 000 cas et 300 morts quotidiens), l’Allemagne s’est enfin dotée d’un nouveau gouvernement, qui sonne le glas de seize longues années de « l’ère Merkel ». Une alliance social-démocrate - écolo - libérale, rouge-verte-jaune (dite « coalition en feu tricolore ») a présenté son « contrat de coalition » le 24 novembre après deux mois de négociations, sous le titre prometteur « Oser plus de progrès ».
«Liberté, durabilité, justice » : c’est la devise de ce nouveau gouvernement, qui se présente comme jeune et dynamique. Peut-être que le SPD souhaite s’adresser à ceux qui sont trop jeunes pour se rappeler qu’il a participé au gouvernement ces huit dernières années... Le programme prévoit le droit de vote à 16 ans, cher aux écolos qui font de gros scores dans la jeunesse, ainsi que la possible légalisation du cannabis. De quoi provoquer un rideau de fumée assez épais pour masquer le peu d’ambition concernant la crise climatique ?
Des « solutions radicales » ?
« Il faut avancer des solutions aussi radicales que la réalité radicale que nous vivons », disait Robert Habeck, le nouveau « super-ministre » écolo de l’Économie et du Climat. Che Guevara n’aurait pas dit mieux. Mais à côté de son programme de coalition, même l’Accord de Paris sur le climat paraît révolutionnaire : il prévoit de « sortir idéalement du charbon en 2030 » (sinon en 2038 comme prévu, ou après) et une « orientation progressive » vers la neutralité carbone en 2045. Rien sur les 20 000 mineurEs qui travaillent encore en Allemagne. Sur l’industrie automobile, une incitation à produire plus d’électrique – à grands coups de subventions publiques évidemment. Rien de surprenant : le seul Premier ministre régional des Verts, W. Kretschmann, qui gère le Bade-Württemberg, s’est distingué par son étroite collaboration avec les géants de l’automobile.
On garde les bonnes habitudes
D’un point de vue social, le contrat promet une augmentation du SMIC de 9,60 euros à 12 euros de l’heure. Une promesse insuffisante pour permettre une vie digne, vu l’explosion des prix... et les exceptions nombreuses déjà prévues. La rigueur budgétaire chère au libéraux du FDP s’adoucit également quand il s’agit d’acheter des drones armés pour « l’armée défensive » qu’est la Bundeswehr ! Une piqûre de rappel pour ceux qui avaient oublié que la première coalition entre sociaux-démocrates et écolos avait lancé l’armée allemande dans ses premières interventions depuis 1945 : au Kosovo en 1999 puis en Irak en 2003. Et pour faire oublier cet épisode glorieux, ils ont aussi choisi de renommer le dispositif anti-pauvres « Hartz IV » (sorte de RSA restrictif instauré par le SPD) en « argent citoyen ».
Santé !
On aurait pu espérer des promesses, même vagues, pour les soignantEs. Mais même les promesses sont minimalistes : des primes défiscalisées et des subventions pour les soins à domicile. Rien sur les salaires, rien sur les embauches, rien sur les investissements !
Au bilan, des promesses assez lointaines et floues pour ne pas devoir s’en préoccuper, un ravalement de façade (les 178 pages de programme auront au moins le mérite de donner un coup de pouce à l’industrie du papier)… Sachant qu’habituellement, ces contrats de coalition sont immédiatement oubliés dans le champagne de la cérémonie d’investiture.
Celle-ci va arriver bientôt, même si les trois partis doivent encore faire avaliser ce contrat par la base. Mais le prochain chancelier, Olaf Scholz, pousse déjà pour entrer en fonction début décembre. Une volonté louable de se mettre à l’œuvre rapidement dans un pays qui avance vers une catastrophe sanitaire majeure ? Non, il s’agit uniquement d’assurer que Merkel, toujours chancelière sur le papier, ne dépasse le record de longévité de son mentor, Helmut Kohl. On ne touche pas au « chancelier éternel » : il faut bien avoir des priorités !
Mais ça ne sera ni le climat, ni la santé de la population, ni les conditions de vie et de travail…