Rencontre avec des ouvriers pakistanais exploités dans les environs de Karachi.Habillés d’un grand habit couleur sable, les ouvriers des métiers à tisser emplissent le petit local syndical. Nous sommes à Ittehad, dans les environs de Karachi, la principale métropole industrielle et portuaire du Pakistan. Certains sortent de prison et d’autres y sont toujours. Pour avoir voulu constituer un syndicat, ils ont été enlevés par les Rangers, torturés et traduits devant une cour antiterroriste.
Ils parlent de la condition qui leur est faite. De la pauvreté qui les conduit à accepter de travailler dans des conditions inhumaines. Dans cette région où la température peut monter jusqu’à 48 degrés (il en fait déjà 38 et nous sommes en avril), les ateliers sont étouffants. Pourtant, si un ouvrier à l’audace de demander l’installation d’un ventilateur, il est immédiatement renvoyé chez lui…
Si ces travailleurs sont à ce point privé de tous droits, c’est qu’ils n’ont aucune existence légale. L’usine elle-même n’est pas déclarée ; un peu comme les ateliers clandestins en France. Cependant, il s’agit ici d’entreprises grandeur nature, de zones industrielles sauvages construites avec la complicité active des partis gouvernants et des « forces de l’ordre ».
La compagnie a bien pignon sur rue. Formellement installée dans une zone industrielle régulière, elle publie sur Internet une charte de bonne conduite ; mais l’essentiel de la production se fait ailleurs, au gré des convenances. Si la protestation populaire contre la surexploitation se fait pressante, des camions viennent chercher matières premières et machines. Un ou deux jours plus tard, l’usine fonctionne à nouveau, quelques kilomètres plus loin.
La liste noire est une mesure de coercition redoutable. L’ouvrier licencié par un patron ne sera embauché par aucun autre. Pire, ses frères risquent d’être aussi interdits d’emploi – « même mes cousins ! », s’exclame l’un des présents. Les employeurs font des familles leurs otages.
L’entente patronale verrouille le système. En France, une caisse noire peut être constituée pour aider un patron à tenir bon face à une grève. Les ouvriers que je rencontre sont confrontés au cas de figure inverse. Certains employeurs seraient prêts à quelques concessions salariales, mais ils en sont empêchés : le patronat local a décidé d’infliger une très lourde amende à qui accepterait d’augmenter les salaires.
L’armée et la police sont aux ordres. C’est à la demande de leur patron que sept syndicalistes d’Ittehad ont été arrêtés le 21 mars, peu avant ma venue, et sévèrement torturés. Les ouvriers étant employés au noir, le patron a prétendu que les salaires non déclarés qu’ils avaient reçus lui avaient été extorqués.
De nombreuses mobilisations ont eu lieu au Pakistan, doublé d’une campagne de solidarité internationale menée par le mouvement syndical, mais impliquant aussi l’Union européenne, mobilisée sur les cas de torture. Un premier détenu avait été rapidement libéré, les six autres l’ont finalement été dans la nuit du 14 au 15 mai (après le dépôt d’une caution de 600 000 roupies).
C’est une victoire importante, mais les syndicalistes (douze en tout) restent traduits devant la juridiction antiterroriste. Du nord au sud du Pakistan, des militants se voient accusés de « terrorisme » ou de crimes crapuleux (comme l’extorsion de fonds). C’est l’un des pays du monde où défendre les droits des travailleurs, des populations, est le plus dangereux. Nous avions déjà alerté dans Tout est à nous ! n° 148, sur la menace de mort planant à l’encontre de détenus politiques dans le territoire de Gilgit. Cette fois aussi, la campagne de solidarité a porté de premiers fruits. Ils ont reçu la visite d’un docteur et la presse nationale s’est faire l’écho de leur situation. Mais cette fois encore, il ne s’agit que d’une première victoire, fragile. La solidarité doit se poursuivre.
Pierre Rousset