Le 5 juin dernier, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Bahreïn et l’Égypte annonçaient la suspension de leurs relations diplomatiques avec le Qatar.
Un blocus contre l’émirat est depuis mis en œuvre, dont la levée est assortie de treize conditions, parmi lesquelles la fermeture d’al-Jazeera ou la rupture des relations avec les Frères musulmans, que le Qatar a rejetées.
Alliances et rivalités
Le « financement du terrorisme » est la principale raison officielle de l’offensive actuelle contre le Qatar. Une accusation qui prêterait à sourire si la situation régionale n’était pas aussi tragique, puisqu’elle peut être facilement retournée contre ceux qui la profèrent, au premier rang desquels l’Arabie saoudite. Les causes de la crise actuelle sont en réalité plus profondes, et sont l’expression de l’exacerbation de rivalités régionales dans un contexte d’instabilité continue depuis le soulèvement de l’hiver 2010-2011.
Les principaux acteurs de la crise, y compris le Qatar, sont membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG), un regroupement d’États partageant une proximité géographique, mais aussi des structures économiques (rente pétrolière et/ou gazière) et politiques (régimes autoritaires de type monarchique), ainsi que des liens privilégiés avec les États-Unis. Les membres du CCG ont ainsi de nombreux intérêts communs, ce qui n’empêche pas que des rivalités existent entre, d’une part, l’axe Arabie saoudite-Émirats arabes unis et, d’autre part, le Qatar.
Depuis les années 1990, le petit émirat a en effet mené une politique visant à s’autonomiser de la tutelle saoudienne, avec notamment l’établissement – l’achat – de liens privilégiés avec les Frères musulmans et le développement d’al-Jazeera, formidable outil pour la diplomatie qatarie. Il ne s’agissait évidemment pas de rompre avec le CCG, mais de s’insérer dans les rapports de forces régionaux pour garantir l’autonomie et la souveraineté du Qatar malgré son exiguïté territoriale et démographique.
Choc entre contre-révolutionnaires
Les rivalités ont connu des développements sans précédent avec le soulèvement régional de l’hiver 2010-2011 et une confrontation directe entre l’Arabie saoudite (et ses satellites) et le Qatar : tandis que l’émirat, du fait de ses liens avec les Frères musulmans, et par l’entremise d’al-Jazeera, a accompagné les renversements des anciens régimes (notamment en Tunisie et en Égypte), les Saoudiens offraient leurs services à ces derniers, qu’il s’agisse de l’asile politique à Ben Ali ou du soutien politique et financier à la restauration brutale du régime militaire en Égypte.
S’il s’agissait pour le Qatar comme pour l’Arabie saoudite de s’opposer à une transformation révolutionnaire régionale, qu’aucun membre du CCG ne pourrait tolérer au risque d’être à son tour balayé, l’émirat a privilégié une stratégie d’accompagnement/endiguement via les Frères musulmans, tandis que le royaume a fait le choix de l’opposition à tout changement. Cette stratégie « radicale » trouve aujourd’hui un écho auprès de l’administration Trump qui, contrairement à l’administration Obama, ne fait montre d’aucun intérêt pour la stratégie qatarie.
Les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite ont saisi cette opportunité pour isoler le Qatar. Mais l’émirat a annoncé avoir les moyens financiers (340 milliards de dollars) de résister au blocus, sous-entendant que l’épreuve de force pourrait se prolonger. Une chose, en tout cas, est certaine : quand bien même l’offensive actuelle procède du mouvement de restauration des anciens régimes, les forces progressistes n’ont aucun intérêt à s’aligner sur l’un des deux « camps », qui représentent tous deux une option contre-révolutionnaire à l’échelle régionale.
Julien Salingue