C’est vers Novi Sad, dans le nord de la Serbie qu’ont convergé le dimanche 2 février des dizaines de milliers de manifestantEs – dont une partie ont parcouru 80 km en venant de la capitale Belgrade à pied ou en vélo.
C’est dans cette ville que s’est produit il y a trois mois l’effondrement de l’auvent en béton de la gare, qui venait d’être rénovée, tuant quinze personnes. Ce drame a catalysé une colère rampante contre le régime synthétisée par le slogan : « La corruption tue »1.
Un auvent qui s’effondre à Novi Sad
Inaugurée en 1964 dans l’ancienne Yougoslavie socialiste, la gare de Novi Sad n’avait guère été entretenue après la fin du régime et de la fédération, au tournant des années 1990. Le trafic s’était effondré. En 2022, la gare bénéficia d’un coup de neuf quand Novi Sad avait été nommée « capitale européenne de la culture ». Le président serbe Aleksandar Vučić était alors venu, avec son ami le Premier ministre hongrois Viktor Orbán, pour inaugurer la nouvelle rame à grande vitesse reliant la ville à Belgrade. La rénovation de la gare s’est poursuivie en 2023 et 2024 et elle a officiellement rouvert le 5 juillet dernier. Moins de quatre mois plus tard, le 1er novembre, l’auvent s’effondrait tuant sur le coup 14 personnes, une autre décédant à l’hôpital.
Des étudiantEs révoltéEs
Les étudiantEs de Novi Sad ont alors occupé leur université, faisant tache d’huile dans tout le pays, pour réclamer la transparence sur les travaux effectués, l’inculpation et la démission des responsables. Quelque trois mois après le drame, le souffle du mouvement de révolte mené par les étudiantEs ne retombe pas. Au total près de 60 établissements de l’Enseignement supérieur sont bloqués, dont toutes les facultés de l’université de Novi Sad, de Belgrade, de Niš et Kragujevac. Certaines facultés privées ont aussi rejoint le mouvement, ainsi qu’un bon nombre d’associations citoyennes et une partie des agriculteurs, notamment le collectif qui s’oppose à l’extraction du lithium par Rio Tinto2, mais aussi des personnalités du théâtre et du cinéma ou encore des sportifs. Fin janvier, les étudiantEs ont appelé à une grève générale et à des défilés convergeant vers Novi Sad pour le 1er février, pour l’anniversaire du drame.
Les médias à la botte du régime ont accusé les étudiantEs d’être « dirigés par la CIA » et par « les politiciens de l’opposition ». En vérité, les étudiantEs se défient des partis, largement décrédibilisés.
Le président souffle le chaud et le froid
L’actuel président Aleksandar Vučić, qui dirige le parti de droite (mal) nommé Parti progressiste serbe (SNS), tend à cumuler de multiples pouvoirs. Il fut chef du gouvernement de Serbie entre 2014 et 2017, puis élu plusieurs fois président du pays depuis 2017. Il joue sur tous les tableaux géopolitiques (vers l’UE, qui lui fait les yeux doux, et la Russie) en étendant son contrôle sur tous les médias pour faciliter ses réélections successives. Face au mouvement étudiant, il a alterné menaces et tentatives d’apaisement. Pour calmer le jeu, il a reconnu sur les réseaux sociaux qu’il s’agissait d’un rassemblement « d’opposition », « exceptionnellement grand ». Il s’est dit « toujours prêt » à entendre « ce qu’ils ont à dire, car la paix et la stabilité sont les plus importants ». Le pouvoir a même tenté de mettre les lycéenNEs en vacances anticipées…
Mais rien n’y a fait, d’autant que les incidents et attaques physiques contre les manifestantEs se sont multipliés. Aux demandes de vérité et de sanctions concernant la tragédie du 1er novembre, se sont alors ajoutées les exigences de poursuite contre ceux qui avaient attaqué les étudiantEs et la démission du Premier ministre Miloš Vučević (maire de Novi Sad entre 2012 et 2022).
Démission du Premier ministre et ancien maire de Novi Sad
Le 28 janvier le mouvement a remporté plusieurs victoires. Après un long entretien avec le Président, et alors que des milliers d’étudiantEs bloquaient un important nœud routier de Belgrade, Miloš Vučević annonçait qu’il démissionnait, afin « d’éviter de nouvelles complications et de ne pas augmenter davantage les tensions dans la société ». Treize étudiantEs et professeurEs arrêtéEs pendant des manifestations ont été graciéEs, de nombreux documents relatifs à la rénovation de la gare ont été publiés. Et le pouvoir a assuré « garantir des crédits favorables pour l’achat d’appartements par les jeunes », histoire de les calmer…
Mais ces victoires du mouvement n’ont fait que stimuler l’ampleur des mobilisations vers Novi Sad le 2 février. Les manifestantEs demandent notamment la publication de tous les documents – dont les contrats passés avec une entreprise chinoise. « Nous sommes tous sous un auvent », « Nous voulons la justice, pas des pots-de-vin », disaient les pancartes d’un mouvement qui marquera la vie politique du pays.
Catherine Samary
- 1. Lire Courrier des Balkans, notamment https://www.courrierdesb…
- 2. Cf. Courrier des Balkans https://www.courrierdesb…