Dire la vérité, toute la vérité, ne fait typiquement pas partie du job de dictateur. Du coup, il est difficile de comprendre ce que la chaîne de télévision publique France 2 aurait voulu apprendre en donnant la parole à un exemple particulièrement sanguinaire de l’espèce...
Lundi 20 avril, dans le cadre du journal télévisé de 20 heures, a été diffusée une interview que le président syrien Bachar el-Assad avait accordée la veille à David Pujadas.
Opération de com’Le journaliste qui s’est rendu à Damas pour mener l’entretien, avait fait sa demande d’interview il y a un an et demi selon ses propres dires. Cela signifie très clairement que c’est la dictature syrienne qui a choisi le moment opportun pour lancer son opération de communication vis-à-vis du public français. Soit après la publication récente d’un rapport de « Human Rights Watch » accusant le régime syrien d’avoir (encore) usé d’armes chimiques, une attaque au gaz de chlore perpétrée le 16 mars dans la région d’Idleb ; après la publication, également en mars, d’un rapport détaillé de l’Observatoire syrien des droits de l’homme qui a recensé près de 13 000 personnes mortes sous la torture en Syrie depuis 2011...L’interview de Bachar el-Assad n’a contribué en rien à faire la lumière sur ces horreurs. Cela ne nous étonnera pas. Mais il est étonnant que son interview soit diffusée en « prime time » à la télévision publique française. Certes, l’intervieweur a bien tenté d’aborder timidement les questions qui fâchent, évoquant l’attaque au gaz de chlore : « encore un faux récit » selon Assad, qui confirme en attendant tous les autres types de bombardement, affirmant que « nos armes conventionnelles suffisent ». Pujadas a aussi abordé la présence de troupes iraniennes en Syrie, présence démentie par el-Assad, alors qu’un général pasdaran iranien a été tué à Deraa en Syrie en février 2015...
Retour à la normale ?Une question attire particulièrement l’attention : durant l’interview, el-Assad affirme qu’il existe « des contacts » avec les services de renseignement français, ajoutant (en jouant sur les mots) « mais pas de coopération ». À l’heure où le gouvernement français maintient la rupture des relations diplomatiques avec la dictature syrienne, rupture initiée sous Sarkozy entre mars et mai 2012 en concertation avec d’autres capitales européennes, une partie de l’appareil d’État a visiblement ouvertement quitté cette ligne depuis plusieurs mois.En effet, certains secteurs dans « les services » et dans l’appareil policier considèrent que le régime d’el-Assad serait un précieux allié dans la lutte contre les djihadistes… que ce dernier a pourtant contribué à faire monter en puissance en Syrie, préférant choisir son ennemi : plutôt Daesh qu’un mouvement de masse anti-dictatorial ! Certains flics et barbouzes sont nostalgiques du temps où el-Assad assistait au défilé du 14 juillet, à Paris, sur la tribune d’honneur. C’était il n’y a pas si longtemps que ça, en juillet 2008.Les hommes des « services » ne sont pas les seuls à vouloir revenir en arrière. Quatre députés français, trois de droite UMP/UDI et un PS, Gérard Bapt (président du Groupe d’amitié France-Syrie de l’Assemblée nationale) s’étaient rendus en Syrie fin février. Trois d’entre eux avaient alors personnellement rencontré el-Assad. Et pour échapper à une sanction du PS, un temps envisagée, Bapt a dû promettre à son retour qu’il allait mettre en sommeil le Groupe d’amitié qu’il présidait. Mais il ne s’agit que d’une suspension.
Les affaires sont les affairesFaut-il attendre que le régime se soit reconsolidé sur une plus grande partie du territoire syrien ? C’est en tout cas la politique suivie par certaines grandes entreprises françaises. Alors que le PIB syrien s’est effondré de moitié (et que l’espérance de vie moyenne des SyrienEs a reculé de vingt ans…), les affaires ne vont pas fort, et les entreprises françaises se sont repliées sur les pays voisins... tout en gardant souvent un pied en Syrie, attendant peut-être les juteux marchés d’une future reconstruction. Ainsi TOTAL, les fromageries Bel, Air Liquide et Lafarge garderaient encore leurs bureaux ouverts à Damas, alors que l’activité économique y a la plupart du temps cessé.Ajoutons enfin que peut-être par russophilie (le pouvoir de Poutine soutenant celui de Damas), une partie de la gauche française souhaite elle aussi maintenir des contacts officiels avec la dictature syrienne. Ainsi, ce 20 mars, dans le cadre d’une interview donnée à BFM TV et à RMC, Jean-Luc Mélenchon a répondu à la question de savoir s’il fallait renouer des liens avec le régime d’el-Assad : « Évidemment ! Avec qui voulez-vous parler ? »
Bertold du Ryon