L’annonce précipitée de la victoire de Déby aux présidentielles décrédibilise encore plus un processus électoral largement critiqué et crée une situation politique difficile pour l’opposition.
Les résultats provisoires de l’élection présidentielle viennent d’être annoncés le 9 mai par l’Agence nationale de gestion des élections (ANGE). Mahamat Déby le président de la transition est crédité de 61,03 %, l’opposant Succès Masra actuel Premier ministre 18,53 % et Albert Pahimi Padacké 16,91 %.
L’ANGE passe…
Au début du processus, l’agence électorale avait expliqué que le décompte des voix prendrait entre deux et trois semaines. La récupération des procès-verbaux des 26 000 bureaux de vote répartis sur l’ensemble du territoire, leur vérification puis leur compilation représentaient un travail chronophage. Coup de théâtre. Trois jours seulement après les élections du 6 mai, cette agence est capable de donner les chiffres provisoires.
Cette précipitation s’explique par la volonté de faire taire toutes les voix qui commençaient à se faire entendre notamment sur les réseaux sociaux, évoquant la victoire de Succès Masra. Ce dernier a tenté de couper l’herbe sous le pied de l’ANGE en annonçant, lors d’un discours, à la nation sa victoire. Il a critiqué l’inversion des résultats en se fondant sur les premières compilations parallèles effectuées par son parti Les Transformateurs.
Tout a été fait pour que cette élection ne soit, pour reprendre les mots de la Fédération internationale des droits de l’Homme, « ni crédible, ni libre, ni démocratique ». Ainsi, il sera difficile de connaître les vrais chiffres mais on est sûr d’une chose, ceux qui sont annoncés sont faux. Tout comme le score du troisième candidat Pahimi Padacké très proche de celui de Masra. Cela s’apparente à une manœuvre visant à montrer que les deux candidats originaires du sud du pays sont au coude-à-coude, décrédibilisant ainsi le rôle de sauveur du pays que Masra a endossé pendant la campagne. D’autant que Padacké vient de faire allégeance au supposé vainqueur.
…et le dictateur s’installe
Après l’annonce de la victoire de Déby par l’ANGE, les militaires ont pendant une bonne partie de la nuit tiré à l’arme automatique pour manifester leur joie. C’est aussi surtout une manière d’intimider les partisanEs de l’opposant. Si ce dernier appelle tous les TchadienNEs à défendre leur vote, il semble difficile que des manifestations de protestation se déroulent. Les forces de sécurité sont déployées dans les grandes villes, et à N’Djamena un imposant dispositif a été mis en place dans la partie sud de la ville, réputée acquise au Premier ministre.
En janvier 2024, nous écrivions : « La succession dynastique des Déby sous l’œil bienveillant de l’Élysée est prête à s’achever avec l’élection présidentielle que ne manquera pas de gagner Mahamat Déby. Un scénario écrit d’avance et parfaitement rôdé »1. Pas besoin d’être fin politicien pour savoir que cette dictature n’allait pas se dessaisir d’un pouvoir usurpé. Elle l’a d’ailleurs prouvé en n’hésitant pas à réprimer dans le sang la manifestation qui s’opposait à Déby le 20 octobre 2022 et reste dans les mémoires comme le « jeudi noir ».
Si les rassemblements sont interdits et les élections truquées, une partie de l’opposition pourrait être tentée par une alliance avec des groupes militaires pour imposer un changement. Ce type de scénario s’est déjà produit au Tchad mais n’a, hélas, jamais permis l’installation d’une quelconque démocratie.
- 1. L’Anticapitaliste n°689 (04/01/2024).