Quiconque a visité l’une des grandes villes de Turquie dont Istanbul, se souvient de ces horizons bouchés par des gratte-ciel et les grues qui en construisent de nouveaux. Quand, après la crise de 2008, l’accès au capital et au crédit fut rendu facile et bon marché pour la bourgeoisie et le gouvernement turc, ces crédits ont été principalement utilisés pour des projets de construction. Certains étaient des méga projets comme le nouvel aéroport, le nouveau pont d’Istanbul, le nouveau tunnel « eurasien » qui relie l’Asie et l’Europe sous le Bosphore. Tous ces projets étaient aussi une façon d’accumuler du capital pour la nouvelle bourgeoisie en ascension, proche du gouvernement AKP.
Ce boom dans le secteur de la construction a eu de lourdes conséquences pour les travailleurEs. Selon un récent rapport, il y a eu, au cours des cinq dernières années, 35 000 accidents du travail dans le secteur, dont 1 754 mortels. Entre 2002 et 2013, ce secteur a crû de 85 % avec, selon les statistiques du ministère du Travail, 1 800 000 salariéEs. Mais ce chiffre ne concerne que les travailleurEs sous contrat de travail car le travail clandestin y est énorme : au moins 1 million de personnes seraient sans contrat ni protection sociale.
Des travailleurEs surexploités qui se mobilisent
Officiellement, seulement 3 % des travailleurEs sous contrat de travail sont organisés dans des syndicats, et la réalité est encore pire. Très souvent les travailleurEs ne peuvent pas obtenir le paiement de leurs salaires, ce qui a provoqué des manifestations spontanées ces dernières années, de même que les accidents mortels ou les mauvaises conditions d’hébergement.
Une manifestation a récemment eu lieu sur le chantier du 3e aéroport d’Istanbul. Le 14 septembre, les 46 000 travailleurEs ont arrêté le travail après un accident d’autobus assurant un service régulier. Cet accident est survenu après beaucoup d’autres accidents mortels semblables. La manifestation a été attaquée par la police militaire avec gaz lacrymogènes, tirs de balles de caoutchouc et canons à eau. Comme la protestation ne cessait pas, la police est intervenue au milieu de la nuit, cassant les portes du dortoir et a retenu 400 travailleurEs. Plus tard, 24 ont été arrêtés et les autres licenciés. La police a utilisé comme preuve la participation à un groupe de discussion WhatsApp pendant les protestations…
Propagande et répression
Selon un expert, 38 travailleurs seraient décédés depuis le début du chantier de l’aéroport. La première phase de la mise en service de ce dernier doit avoir lieu le 29 octobre, le « Jour de la République », la fête nationale en Turquie. D’un montant faramineux de 30 milliards de dollars, c’est un projet de prestige pour Erdogan.
Les travailleurEs ont publié leurs revendications sur les réseaux sociaux. Ils demandent l’arrêt de la répression, la mise à l’écart des chefs responsables de la situation, des conditions de travail, d’hébergement, de soins et des tenues de travail correctes, le virement des salaires sur un compte bancaire avec le solde des retards, le paiement des jours fériés.
Ces revendications élémentaires ont été réprimées : violences policières et arrestations massives. Le gouvernement fait croire qu’il s’agit d’une tentative de sabotage et d’une conspiration de puissances étrangères ne voulant pas que cet aéroport soit ouvert à la date prévue. Il a obtenu un soutien parmi la classe ouvrière tout en isolant et en attaquant les luttes locales. Cette stratégie a jusqu’ici bien marché, de nombreuses personnes reprenant sur les réseaux sociaux ces divagations.
Les attaques violentes de la police ont effrayé certains des travailleurEs, et les travaux de construction ont repris. Le chantier s’est transformé en véritable prison, avec la présence de la police et des contrôles permanents sur les travailleurEs. Et même si certaines de leurs revendications ont été satisfaites, la colère et la frustration n’ont pas disparu et ne manqueront pas d’exploser à une autre occasion.
Metin Feyyaz