Plus de deux semaines après le lancement de l’offensive sur l’enclave kurde d’Afrin en Syrie du nord (opération « Rameau d’olivier »), les violents affrontements entre l’armée turque et les forces kurdes du YPG continuent à faire des mortEs et des blesséEs.
Selon les sources officielles turques, depuis le 21 janvier 2018, plus de 930 miliciens kurdes auraient été tués lors des combats et surtout après l’intensification des bombardements aériens (l’espace aérien ayant été ouvert avec l’autorisation de Moscou). Toujours selon les sources gouvernementales le nombre de soldats turcs qui auraient péri lors des affrontements s’élèverait à 15, auxquels s’ajoutent 30 miliciens de « l’Armée syrienne libre » (composée majoritairement de bataillons djihadistes soutenus par Ankara). Le Conseil sanitaire d’Afrin a quant à lui déclaré que 130 civils avaient trouvé la mort lors des bombardements et 320 avaient été blessés. Côté civil encore, plus de 90 tirs de missiles auraient été effectués depuis Afrin sur les villes turques de Kilis, Reyhanli et Hatay, faisant 7 morts et 113 blessés selon le Premier ministre. Toutefois les YPG ne revendiquent aucun de ces tirs ciblant directement des habitats civils.
Une répression accrue
À l’intérieur du pays, la criminalisation de la moindre opposition à la guerre et la vague d’arrestations se poursuivent. Le ministère de l’Intérieur turc a annoncé que 573 personnes avaient été mises en détention depuis le début de l’offensive, 124 pour avoir participé à des rassemblements de protestation et 449 en raison de contenus diffusés sur les réseaux sociaux. Parmi ceux-ci se trouvent des journalistes, avocats, activistes antiguerre, mais le moment le plus choquant de la répression a été l’arrestation des 11 dirigeants de l’Union des médecins de Turquie pour avoir déclaré que « la guerre est une question de santé publique », avec perquisition à domicile et fouille de leurs bureaux. Accusés de « présenter des activités terroristes comme légitimes », ils ont été libérés une semaine plus tard, sous contrôle judiciaire. L’offensive sur Afrin préparée et annoncée depuis plusieurs semaines fournit ainsi au président Erdogan le prétexte pour accroitre la répression, tout en obtenant un soutien considérable de la part de divers secteurs de la population, toutes tendances politiques confondues. Le nationalisme est décidément une « question de santé mentale ».
La riposte victorieuse des travailleurs
Au beau milieu de ce climat sordide d’état de guerre et d’union nationale, les ouvriers de la métallurgie – un secteur-clé du capitalisme turc – ont réussi à obtenir une victoire sans précédent. Quelques semaines auparavant, les négociations collectives avaient échoué et les trois syndicats présents dans l’industrie métallurgique, poussées par leurs bases respectives, avaient décidé d’aller à la grève. Cela était d’autant plus important que l’une de ces trois organisations, Türk Metal, est le plus grand syndicat jaune du pays, contre lequel les métallos s’étaient insurgés en 2015 pour protester contre les accords que la direction avait signés avec le MESS (le Syndicat des employeurs de la métallurgie). Face au risque de voir ressurgir des grèves de l’ampleur de 2015 le MESS a fait monter sa proposition d’augmentation des salaires de 3,2 à 6,4 %, puis à 13,2 %.
Mais le point critique était la durée de l’accord, et le MESS insistait pour une durée de 3 années face à la revendication de 2 années du côté des métallos. Entretemps l’opération militaire sur Afrin débutait et le Conseil des ministres prenait la décision de « reporter » (comprendre : interdire) la grève pour raison de sécurité nationale. Une décision bienvenue pour Türk Metal et le syndicat à direction islamiste proche du gouvernement Çelik-İs, qui se sont ralliés au patriotisme ambiant et ont retiré le préavis de grève. Mais Birlesik-Metal-İs, l’un des syndicats les plus combatifs du pays, est demeuré résolu à faire grève. La détermination des métallos, s’ajoutant à l’effroi bourgeois suscité par l’hypothèse d’un remake de la « tempête métallique » de 2015, dans une conjoncture où le régime Erdogan ne peut prendre le risque de s’aliéner une partie de la classe ouvrière (traditionnellement de droite) a eu pour conséquence un accord sur 24 % d’augmentation des salaires, et une marche arrière cruciale de la part de MESS concernant la durée de l’accord, fixée finalement à 2 années, telle que le revendiquaient les ouvriers.
L’ombre de la grève a suffi à faire reculer les patrons et a montré que, même sous état d’urgence, la défaite n’est pas la règle !
Correspondant