La salle du Maltais Rouge près de la Bastille à Paris débordait ce mardi 10 janvier à 19 heures : près de 70 personnes – plus jeunes et plus féminisées qu’à l’accoutumée dans ces réunions – sont venues écouter et discuter avec Valeriia Zubatenko, féministe ukrainienne.
Elle était invitée par le groupe de travail féministe du RESU (groupe français de l’ENSU1 / Réseau européen de solidarité avec l’Ukraine). Valeriia est une jeune artiste et chercheuse, originaire de Zaporijjia en Ukraine. Elle a quitté son pays au cours du premier mois de guerre, mais elle vient de se rendre à Lviv et Kiyv pour revoir amiEs et famille en ce début d’année. Membre de l’organisation de gauche Mouvement Social – avec laquelle le RESU milite – elle poursuit actuellement ses études à l’école des arts LUCA, à Bruxelles. Avant la guerre, pendant quatre ans, Valeriia avait impulsé en Ukraine, à Marioupol, un projet artistique éducatif destiné aux jeunes marginalisés atteints du VIH, aux LGBT et aux prostituées. Aujourd’hui, elle travaille sur un projet artistique lié à la guerre dans une perspective anti-impérialiste, antifasciste et postcoloniale.
Quelle solidarité ?
Valeriia nous a parlé des aspects problématiques de la solidarité de la gauche occidentale avec l’Ukraine et de l’exigence première de liens par en bas avec les victimes de l’agression impériale russe et d’écoute « féministe » d’une population qui dit « non ». Puis elle a évoqué des initiatives concrètes et « fiables» pour aider la résistance ukrainienne, notamment féministe, sans passer par les ONG bureaucratiques et institutionnelles. La parole fut ensuite donnée à d’autres invitées (se connaissant et partageant les mêmes engagements). Dilda, originaire du Kazakhstan, a témoigné de la solidarité populaire exprimée par en bas dans son pays envers la lutte ukrainienne ; la chercheuse et activiste russe Masha, établie en France, a rendu compte d’une action de protestation contre une entreprise française servant de fait de support technique à la propagande médiatique du pouvoir russe ; une autre activiste féministe russe, Vica, établie en Allemagne, a évoqué une initiative établie à Berlin pour « le droit de résister » et la possibilité de coordinations pour peser davantage.
Droit de la société ukrainienne de résister
Un des buts essentiels de cette réunion était de faciliter un tel engagement militant à partir de contacts directs avec des activistes ukrainienNEs. Ces liens directs par en bas prolongeaient le temps fort de l’intervention de Valeriia qui a suscité une grande attention de la salle : la contestation « vivante » des positions « contre la guerre » qui font abstraction de la société ukrainienne et de son « droit de résister »2, réduisant la guerre à un conflit interimpérialiste (comme la Première Guerre mondiale) ou la société ukrainienne à ses fascistes ou dirigeants libéraux. L’ignorance de l’histoire des rapports de domination russe sur l’Ukraine dans diverses phases historiques et les désaccords traversant la gauche notamment marxiste sur la place des questions nationales dans ce que fut l’URSS et plus largement dans tout projet communiste d’union libre entre peuples pèsent durablement. La guerre en Ukraine permet aussi de remettre en cause les visions d’un monde dominé par un impérialisme occidental unique. Un intervenant chinois a remercié Valeriia dont le discours permettait de dénoncer « tous les impérialismes dont le russe… et – ajouta-t-il avec émotion – le chinois ».
- 1. Voir le site de l’ENSU https://ukraine-solidari… pour suivre ses initiatives et publications et s’y inscrire.
- 2. C’est le titre du Manifeste féministe ukrainien cf. https://blogs.mediapart…