La Banque centrale américaine, la Fed, a décidé, le 16 décembre, de relever ses taux directeurs pour la première fois depuis 2006. Cette hausse « marque la fin d’une période exceptionnelle de sept ans pendant laquelle les taux ont été maintenus proches de zéro pour soutenir la reprise de l’économie après la pire crise financière depuis la Grande Dépression », a déclaré la présidente du Conseil des gouverneurs de la Fed, Janet Yellen. « La décision de la Fed reflète notre confiance dans l’économie américaine ».
Le message politique est clair : la crise financière appartient au passé, tout va bien... du moins pour les USA. C’est sur ce fond de bluff officiel que se déroulent les campagnes en vue des primaires républicaines et démocrates pour la présidentielle de 2016, bluff dont Hillary Clinton, la candidate de Wall Street, espère bien être la bénéficiaire.Elle fait surtout le calcul du discrédit des Républicains, dont la primaire occupe la une des médias qui donnent à celle-ci une publicité toute particulière aux frasques et surenchères réactionnaires et racistes du milliardaire Donald Trump. Ses propos sont tellement caricaturaux et outranciers qu’il n’aurait aucune chance d’être élu contre Clinton, si tant est qu’il gagne l’investiture des Républicains.
Trump, l’idiot utile ?
Après s’être moqué d’un journaliste handicapé et avoir tenu des propos sexistes, il a, une semaine après les attaques de San Bernardino, proposé de fermer les frontières américaines aux musulmans. Il veut aussi revenir sur le 14e amendement de la Constitution en supprimant le droit du sol, et ficher les Américains musulmans. En reprenant les idées de l’extrême droite, il vise la fraction de l’électorat conservateur déstabilisée, nostalgiques de la grande Amérique, frustrée par la dégradation de la situation sociale et en mal de revanche contre Obama.
S’il parvenait à gagner la primaire, l’establishment républicain s’est dit prêt à le destituer, le contraignant à se présenter en candidat indépendant. Mais vu la politique défendue par les autres candidats républicains, d’une certaine façon, Trump leur est bien utile. Celui-ci leur prépare le terrain, en agitant les idées d’extrême droite dont au final ils font tous leur fonds de commerce, tout en les rendant plus compatibles avec un discours institutionnel.
Hystérie réactionnaire
C’est ainsi que Ted Cruz, jusqu’alors quelque peu en retrait derrière Trump, revient en pôle position en flattant les mêmes préjugés, de façon moins provocatrice dans la forme. Pour lui, le réchauffement climatique est une invention du gouvernement, il est opposé au mariage gay, ne conçoit l’avortement que dans les cas où la vie de la mère est en danger, refuse le droit à avorter aux victimes de viols, refuse de restreindre de quelque façon que ce soit l’achat et la possession d’armes à feu, souhaite abroger la couverture sociale universelle mise en place par Obama et s’est opposé à l’accord sur le nucléaire iranien et sur les mesures de rapprochement diplomatique avec Cuba...Cela au point que Jeb Bush, ancien gouverneur de Floride, qui n’hésitait pas lui-même à proposer de rejeter les réfugiés syriens musulmans tout en acceptant les chrétiens, l’a qualifié de « déséquilibré ». Ambiance qui règne chez les Républicains...
Sans espoir de retour en arrièreEn fait, Trump n’est pas une aberration politique, il est l’expression de la rancœur d’une partie de l’électorat conservateur, de son rejet des politiciens, des ressentiments xénophobes et racistes de catégories sociales qui voient jour après jour leur situation se dégrader sans espoir de retour en arrière. Les inégalités s’accentuent à grande vitesse, la misère s’aggrave, et la reprise est un mirage, sauf pour les financiers. Les travailleurs pauvres, malgré plusieurs jobs, n’ont pas assez pour vivre et nourrir leur famille. Une grande partie de la population n’arrivant pas à vivre décemment, exprime donc son ras-le-bol, et cherche un exutoire contre le système. L’extrême droite exprime avec démagogie ce mécontentement diffus, désespéré, sans boussole ni perspective. L’expression à l’américaine d’un phénomène politique qui traverse le monde, sous les effets dévastateurs des politiques libérales et impérialistes...Au sein de la primaire démocrate, Bernie Sanders est le seul candidat qui ose parler du socialisme. Ce n’est certainement pas un révolutionnaire, mais sa parole tranche entre le discours de Wall Street de Clinton et l’hystérie réactionnaire des Républicains...
Yvan Lemaitre