Au début du mois d’avril, une purge anti-gay en Tchétchénie avait été révélée par le journal russe indépendant la Novaïa Gazeta : des centaines d’homosexuels auraient été arrêtés et incarcérés dans des prisons secrètes, de nombreux étant torturés notamment à l’aide d’électrochocs et au moins trois assassinés. Presque deux mois plus tard, qu’est-ce qui a changé ?
L’enquête de la Novaïa Gazeta a été relayée très largement par les médias européens et étatsuniens, mettant en lumière le traitement des personnes homosexuelles ou présumées en Tchétchénie. La réaction du gouvernement de Ramzan Kadyrov a été de nier en bloc l’affaire. Leur défense ? On ne peut pas réprimer une sexualité... qui n’existerait pas, selon le porte-parole du gouvernement !
Pourtant, l’article du journal russe sorti le 1er avril a libéré aussi la parole de certaines victimes qui ont pu sortir et ont témoigné anonymement, mais avec des photos de leurs corps meurtris.
La Russie complice
Plusieurs associations dont Amnesty International ont demandé l’ouverture d’une enquête. L’indignation légitime et la pression internationale ont surtout eu pour conséquence d’obliger Vladimir Poutine à s’expliquer sur le sujet. Il a donc ouvert une enquête fin avril pour éclaircir l’affaire…
À la tête de cette enquête, il a nommé Tatiana Moskolva, déléguée pour les Droits de l’homme en Russie. Son CV est assez éloquent : générale de la police à la retraite et élue pro-Poutine depuis 2007, elle avait soutenu en 2012 la loi contre « la propagande homosexuelle », et a aussi proposé d’inscrire l’atteinte à la moralité dans le Code pénal... Elle a aussi essayé d’empêché la Novaïa Gazeta de publier l’entretien qu’ils avaient fait d’elle en intimidant les journalistes.
L’enquête s’est donc conclue de manière prévisible : il n’y a aucun problème en Tchétchénie, et le gouvernement Poutine soutient Kadyrov dans sa politique de purge. Guère étonnant vu le peu de droits qu’ont aussi les personnes LGBTI en Russie depuis la loi de 2012.
Obtention de visas difficile
L’association russe LGBT Network tente à présent de trouver des visas pour permettre d’exfiltrer des Tchétchènes persécutés. Elle a réussi a en exfiltrer déjà une quarantaine, mais peine à avoir des soutiens concrets des États. Les États-Unis ont fait savoir qu’ils ne donneront pas de visas, arguant une question administrative.
Pour qu’ils obtiennent ces visas, il faudrait qu’ils sortent de Russie afin d’être considérés comme réfugiés, ce que l’association considère comme trop dangereux. Derrière cet argument, on voit en réalité un manque de volonté politique. Pour l’instant, seule la Lituanie a déclaré avoir accueilli deux ressortissants tchétchènes.
« Silence = mort »
Devant le manque de solutions et de réactions, trois associations LGBTI française (Stop homophobie, Comité Idaho France, Mousse) ont porté plainte pour génocide devant la Cour pénale internationale, ce qui l’oblige à vérifier les faits et possiblement à ouvrir une enquête. Si les faits sont avérés cela pourrait déboucher sur un procès du président tchétchène. Cependant, ce type de procédure prend du temps, mais elle pourrait obliger à ouvrir une enquête moins partiale que l’enquête russe.
Lors de la présentation à Cannes du film 120 battements par minute qui traite des années 1990 et de la lutte contre le Sida par Act-Up, des militants ont brandi sur le tapis rouge des pancartes « Silence = mort », en solidarité avec les homosexuels persécutés en Tchétchénie, rappelant que les gouvernements ont bien souvent laissé mourir les LGBTI en silence…
Mimosa Effe