De la sidération à la tristesse, puis de l’indignation à la colère. Marseille vit des heures graves qui laisseront des traces. Dans une ambiance de fin de règne à la mairie, ces moments révèlent au grand jour les manquements d’une gouvernance municipale, et plus largement celle d’une politique sociale qui abandonne les plus démuniEs. Le tout sous les bons auspices de l’État…
Le 5 novembre au matin, plusieurs immeubles de la rue d’Aubagne s’effondrent au cœur du centre-ville populaire et historique de Marseille. L’un d’entre eux était inhabité en raison de son état délabré – mais il était peut-être squatté ; l’immeuble voisin était occupé. On dénombre à ce jour huit victimes : Ouloume, Julien, Taher, Sherif, Fabien, Simona, Niasse, Marie-Emmanuelle. Dans les jours qui suivent, plusieurs immeubles menacent de s’effondrer à leur tour dans un cruel effet domino qui témoigne que dans cette ville la solidarité populaire est aussi une question d’architecture. Depuis, plus d’un millier d’habitantEs ont été, à ce jour, évacués (pas seulement autour de la rue d’Aubagne, mais aussi dans de nombreux autres quartiers, jusque dans les quartiers nord). Mais il n’y a pas à douter que le drame de la rue d’Aubagne et le choc enduré par les marseillais-ses, va permettre d’entamer la rénovation capitaliste du centre ville, et les expertises de mise en péril incontrôlables pour l’instant servent aussi à déloger les habitantEs dont on ne veut plus.
Aujourd’hui, les premiers éléments de l’enquête montrent une responsabilité accablante des pouvoirs municipaux et des bailleurs. La vétusté des immeubles était attestée, les dégradations clairement constatées par les service d’hygiène et de santé, et les services de la mairie n’ignoraient rien des dangers qu’encouraient les habitantEs de ces immeubles. Des journalistes avaient lancé l’alerte. Des rapports de la Soleam (société locale d’équipement et d’aménagement de l’aire métropolitaine1) aussi. Un arrêté de péril imminent pour l’immeuble du 63 existait depuis 2008. Le 65 avait été évacué le 18 octobre : des expertises avaient exigé des travaux. Le jour même, les locataires étaient autorisés à regagner leur logement. Qu’a fait la mairie depuis ? Après le silence de ces mois passés, il faudra des réponses... et des condamnations !
Le maire a tout d’abord incriminé la pluie, pour finalement mieux se taire. Le 7 novembre, lors d’une conférence de presse, il dit ne rien regretter : même pas d’avoir investi 56 millions d’euros dans une patinoire, et 3 millions d’euros dans l’habitat indigne ?
« Mairie, métropole, région : tous coupables »
Dès le jour du drame, un collectif se crée, « Noailles en colère », qui organise d’abord une marche blanche de recueillement (au cours de laquelle un balcon s’effondre au passage du cortège, blessant trois personnes…). Le 14 novembre, cette marche est suivie d’une marche « de la colère » (ce même jour une cage d’escalier va également s’effondrer dans le secteur, en ne blessant personne). Près de 8 000 MarseillaisEs convergent vers l’Hôtel de ville aux cris de « Gaudin assassin, Gaudin démission », et « Mairie, métropole, région : tous coupables ». Comme unique réponse : des gaz lacrymogènes et des coups de matraque. Le collectif annonce une prochaine « grande marche de la dignité » le 1er décembre.
Indigne, autant que l’habitat des quartiers populaires, le pouvoir municipal l’est quand plusieurs perquisitions viennent à montrer son implication (et lorsqu’un élu municipal s’avère être propriétaire d’un appartement dans un des immeubles effondrés), tandis qu’à quelques rues du quartier de Noailles, la Mairie aura dépensé 390 000 euros pour ériger un mur de 2,50 mètres afin de protéger des travaux dits de « requalification » de la place Jean-Jaurès à La Plaine, un projet largement repoussé par les habitantEs qui se mobilisent depuis des années pour leur quartier. Projet sous la direction de la même Soleam, ce qui interpelle quant à la bienveillance des rapports concernant Noailles…
Partout, la logique est la même : les politiques de la ville conduisent à reléguer les plus démuniEs, pour faire le vide. Qu’on requalifie ici une place, qu’on abandonne là à son sort tout un quartier pour le laisser se vider, voire s’effondrer sur lui-même, c’est tout un mouvement d’ensemble qui a déjà ravagé la rue de la République, ou le quartier de la Joliette, bientôt le Panier ? La gentrification n’est que le nom policé (et policier) d’un nettoyage systématique du territoire au détriment des plus pauvres, chassés de leur quartier, dépossédés de leurs lieux de vie et de leur avenir — pour le profit de quelques-uns, promoteurs avides, marchands de sommeil, bailleurs dits « sociaux ».
Face à une politique qui fait rêver partout les capitalistes
Marseille est ici à l’avant-garde d’une politique qui fait rêver partout les capitalistes. La baisse des APL, la réduction de la construction des logements sociaux, la hausse des taxes, la politique fiscale… tout converge dans une même direction. À Marseille, 2013 fut un tournant, quand la ville était « Capitale européenne de la culture », et qui a été l’occasion d’une lame de fond que rien ni personne n’a encore pu arrêter. Depuis, les investisseurs construisent d’immenses et inhumains centres commerciaux qui font dépérir les commerces du centre-ville, autant que ceux des quartiers périphériques. Car pendant ce temps, les quartiers populaires au nord ou à l’est sont cruellement enclavés : les transports manquent autant que les perspectives. Les règlements de comptes arrachent à Marseille sa jeunesse à laquelle le pouvoir municipal ne répond que par le mépris et les violences policières. Il préfère sans doute vendre la ville aux plus offrant : ainsi du projet pharaonique de construction d’un hôpital privé fusionnant deux cliniques existantes, avec 40 % de lits en plus, et 40 % de personnel en moins. Le tout sur un terrain vendu à un prix dérisoire par la ville dans les quartiers Est, pendant qu’à proximité, on laisse se dégrader deux hôpitaux publics de l’APHM.
Pourtant, Marseille sait se lever et se battre. Les manifestations de la colère en témoignent. Comme en témoigne aussi le combat des salariéEs McDonald’s menacés par un plan social, puis par le patron de leur franchise, et qui luttent encore pour leur emploi dans une lutte exemplaire pour touTEs. En témoignent également les luttes du printemps dernier contre la réforme du rail, ou celle des universités. On y avait vu des cheminotEs et des dockers venir en soutien des étudiantEs à Saint-Charles. La grande manifestation du 14 avril dernier avait été une première preuve des luttes unitaires, comme une perspective possible.
Marseille est un laboratoire. Pour le pire et pour le meilleur. C’est quand un monde s’effondre qu’on voit aussi sa véritable nature, et qu’on assiste à la levée de celles et ceux qui le refusent de toutes leurs forces. Marseille n’est pas seulement la deuxième ville de France : elle est peut-être, aujourd’hui, en première ligne des combats qui nous engagent touTEs.
NPA 13
- 1. C’est la Soleam, à la direction de laquelle élus de gauche et de droite « cohabitent », qui est à l’initiative de plusieurs grands travaux de rénovation et de construction dans les différents quartiers de Marseille, notamment avec l’accréditation de l’ANRU (Agence pour la rénovation urbaine), dévastatrice dans les quartiers populaires périphériques.