Publié le Mardi 26 avril 2022 à 09h48.

Après le premier tour de la présidentielle, prendre résolument un chemin incertain

Le bilan fondamental de premier tour de l’élection est la polarisation entre une extrême droite fascisante et dynamique et une gauche qui rompt avec la social-démocratie avec, au centre, un pouvoir autoritaire en équilibre instable. Une situation qui appelle un infléchissement de la politique des révolutionnaires.

 

L’extrême droite est renforcée, avec 32 % des suffrages cumulés entre Le Pen, Zemmour et Dupont-Aignan, contre 25 % en 2017. Cette poussée s’accompagne d’un renforcement de son aile ouvertement fasciste, autour d’Éric Zemmour, candidat qui renoue avec l’électorat traditionnel du fascisme, une partie de la grande bourgeoisie et la petite-bourgeoisie, laissant les classes populaires à Le Pen. Le NPA n’analyse pas, à cette étape, le RN et Reconquête comme des partis fascistes au sens classique du terme, car ils n’ont pas à leur disposition un corps armé capable de détruire physiquement les organisations du mouvement ouvrier et les oppriméEs. Mais une étape est franchie avec la création du parti de Zemmour, tandis que nous pouvons maintenir l’analyse selon laquelle ces deux partis sont dirigés par des fascistes, qui ont, indépendamment des convictions de leur électorat, un projet fasciste construit, contre les libertés démocratiques et pour décupler l’exploitation.

 

Des oppositions de classe exacerbées

Si Marine Le Pen arrivait au pouvoir le 24 avril, le pays ne basculerait pas dans le fascisme. Mais un saut qualitatif serait franchi dans sa montée. En effet, elle disposerait, avec la police et l’armée, de corps acquis à son projet politique, permettant d’envisager une fusion entre son parti et l’appareil d’État, ce qui est une des caractéristiques de la théorie classique du fascisme. D’ailleurs, qu’elle gagne ou non – et bien plus si elle gagne – on verra dans les prochaines semaines, à n’en pas douter, se développer les violences contre les personnes racisées, les LGBTI et les militantEs du mouvement ouvrier.

De façon symétrique s’est développé dans cette élection un début de ré-homogénéisation du prolétariat autour de la candidature de Mélenchon. Le vote, impressionnant, dans les quartiers populaires, pour sa candidature, le révèle. Même si tout cela n’est pas exempt de confusions, comme le montrent les sondages révélant qu’un tiers de l’électorat de Mélenchon serait prêt à voter pour Le Pen au second tour de la présidentielle, ou encore les désaccords profonds que nous avons avec son orientation sur la place – impérialiste – de la France dans le monde, sur son rapport aux institutions et aux luttes.

Par ailleurs, cette tendance à l’homogénéisation est également relativisée par le fait qu’il s’agit d’un terrain bien particulier, celui des élections, et par le mode de scrutin, le « vote utile » réduisant l’espace politique des autres les forces de gauche. On peut néanmoins retenir que, tendanciellement, le Parti socialiste, hier dominant à gauche, est remplacé par une force plus radicale, moins intégrée à l’appareil d’État et plus dynamique.

Le « centre » macroniste se révèle, comme il y a cinq ans, une forme de bonapartisme, car il constitue un équilibre instable entre ces deux pôles. Par rapport à la dernière élection, il y a un élargissement de sa base sociale, qu’on a pu constater par l’augmentation de son score et sa capacité à siphonner une partie des voix des Républicains après avoir conquis une bonne part de l’électorat du PS. Il se renforce au sein de la « France qui va bien », ces couches de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie qui profitent de la crise et ont peur des « extrêmes ».

Cette position reste instable car, là aussi, le mode de scrutin, au cœur du fonctionnement de la Ve République, renforce les tendances à la centralisation et exagère la position dominante de Macron. Rappelons que ses voix ne représentent que 20 % des inscritEs sur les listes électorales.

 

Le bilan mitigé de notre campagne

Le faible score de la campagne Poutou n’annule pas son utilité. Au contraire, elle a permis de poser plusieurs problèmes politiques qui n’auraient été posés par personne d’autre de cette façon : la dénonciation des violences policières, le combat contre l’extrême droite, la nécessité d’un parti large, anticapitaliste et révolutionnaire, indépendant des institutions.

La participation à près de 90 meetings, avec des centaines de personnes dans de nombreuses villes, les milliers de personnes qui ont pris contact avec nous, la légitimité et la popularité de Philippe dans une large part de la population, sont un retour positif sur l’utilité de notre campagne, même si nous n’avons pas pu réellement imposer d’autres thématiques politiques dans la campagne, notamment en raison de l’exposition médiatique très restreinte dont nous avons disposé et de nos forces limitées. Nous n’avons pas réussi à nous lier à des secteurs militants extérieurs à notre surface habituelle, particulièrement dans les quartiers populaires et dans les entreprises.

La faiblesse du score est aussi une sanction à prendre en compte de ce point de vue. Des dizaines, voire centaines, de milliers de personnes ont préféré voter Jean-Luc Mélenchon, y compris dans notre entourage très proche, pour peser sur le second tour. Le résultat concret est malheureusement qu’il n’a pas accédé au second tour et que nous sommes faibles pour peser sur les prochains évènements. Cependant, nous avons réussi à exister, ce qui nous donne la possibilité d’intervenir dans les débats politiques nationaux, ce qui aurait été impossible si nous n’avions pas eu de candidature, ce qui pourra se révéler très précieux dans la prochaine période.

 

Contre le fascisme

Nous devons maintenant raisonner nos objectifs en fonction de la situation, des intérêts généraux du prolétariat et de nos forces.

La première urgence est de construire une riposte face à la montée de l’extrême droite. Dans l’entre-deux tours, cela signifie appeler à ce que pas une voix ne se porte sur Le Pen. Nous devons convaincre, pied à pied, dans les classes populaires, de ne pas voter pour cette candidature. Si nous n’avons aucune illusion sur ce que fera Macron s’il est élu président, nous espérons néanmoins que Le Pen perde, donc, de fait, que Macron gagne au second tour. En revanche, notre rôle n’est pas d’appeler à voter pour lui, et encore moins d’appeler à ne pas voter pour lui.

D’un côté, en n’appelant pas à voter Macron, on exprime une défiance vis-à-vis de ce candidat de la bourgeoisie, de ses objectifs, et nous pouvons même expliquer que sa mandature a conduit, et conduira de nouveau s’il est élu, à faire monter l’extrême droite, et que la solution viendra des luttes, d’en bas. Mais nous n’avons pas non plus à appeler à ne pas voter Macron : cela signifierait que nous sommes indifférents au résultat du second tour, que nous pensons que cela ne changerait rien pour les classes populaires, pour les LGBTI, pour les personnes racisées, et face à la répression policière ou patronale. S’il est normal, notamment dans la jeunesse, que beaucoup de monde soit révolté contre la configuration de ce second tour, l’orientation « ni Le Pen ni Macron », portée par des organisations, signifie la négation du danger fasciste et un opportunisme vis-à-vis des personnes qui, dans les couches populaires, y voient une solution. Notre rôle en tant que communistes est de contribuer à lever ce type d’illusions, à séparer les couches prolétariennes démoralisées des couches réactionnaires suivant l’extrême droite.

Cette bataille devra se poursuivre au-delà des élections, notamment en s’appuyant sur les rencontres et forums sociaux antifascistes, en testant la possibilité de construire un mouvement antifasciste unitaire, et notamment face à ces attaques physiques.

 

Des batailles unitaires contre la classe dominante et ses représentants

Le second point est de préparer les batailles contre le pouvoir qui sortira des urnes. Nous ne sommes pas indifférents au résultat mais, quel qu’il soit, il faudra se mobiliser de façon. Nous pouvons proposer des mobilisations dès le soir du second tour et dans les semaines qui suivront, pour montrer qu’il n’y aura pas de période de grâce, que la riposte doit s’organiser immédiatement. Nous pouvons ainsi pousser à développer, dès maintenant, des argumentations sur l’augmentation des salaires, les retraites, les réformes de l’éducation et particulièrement des universités, les droits des migrantEs…

Troisièmement, nous avons la responsabilité de continuer à affirmer la nécessité de construire un parti pour les exploités, un parti militant, anticapitaliste et révolutionnaire, indépendant des institutions, avec un projet pour l’émancipation de toutes et tous, et pour faire face à l’urgence de changer un monde en guerre, en crise écologique profonde, et menacé par l’extrême droite.

La question de la guerre, peu abordée ici, est symptomatique de la période que nous vivons et participe des délimitations nécessaires pour construire un parti utile, indépendant de l’ordre existant.

Ce projet, nous devons le proposer à toutes celles et tous ceux qui se sont rapprochéEs de nous dans la campagne, pour leur proposer de construire ensemble le NPA, de s’organiser, militer, lutter, se former. Ce sera un des enjeux de notre prochaine Université d’été, des Rencontres internationales de jeunes de la IVe Internationale qui auront lieu en France, et du prochain congrès du NPA.

 

Une tentative unitaire

Mais pour cela, il nous faut également réussi à sortir de l’isolement dont témoigne notre faible score à la présidentielle et agir sur les enjeux généraux de la situation. Il ne suffit pas d’être reconnu, il faut être capable d’entrainer dans l’action. Les réactions face à la montée de l’extrême droite et face à Macron sont somme toute assez faibles. Les organisations – partis, associations, syndicats… – sont divisées entre celles qui veulent absolument voter Macron au second tour, celles qui attendent le « résultat démocratique », celles qui sont polarisées par les élections, celles encore qui ne veulent pas travailler avec les précédentes. L’unité du prolétariat et de ses organisations est un combat !

C’est dans ce sens que le NPA a décidé de proposer à Lutte ouvrière et à La France insoumise de discuter de la possibilité de présenter des candidatures communes aux prochaines élections législatives, et ainsi de répondre favorablement à la proposition de rencontre de l’Union populaire. Nous souhaitons un accord sur des candidatures communes, mais sans nous renier. En effet, il ne s’agit pas de dissoudre le NPA, ni d’effacer ses spécificités, il s’agirait d’un accord pour mener une campagne ensemble, contre la droite et l’extrême droite, pour la défense de mots d’ordre communs pour les classes populaires.

Il s’agit aussi de construire une campagne militante, collective, qui soit un point d’appui pour construire les luttes nécessaires. Nous ne pensons pas qu’une victoire d’une telle coalition aux législatives soit réaliste, étant donné le rapport de forces général et, si c’était le cas, nous ne participerions pas à un gouvernement qui en serait issu, mais nous voulons sincèrement que le plus de députéEs de gauche soient éluEs face à la droite et à l’extrême droite. Si nous pouvions en profiter pour gagner quelques députéEs révolutionnaires pour faire le lien avec les luttes et défendre notre programme, ce serait un bonus non négligeable. Ces éluEs devraient avoir la liberté d’exprimer notre point de vue, tout comme, même si nous sommes favorables à une campagne unitaire à la base et démocratique, nous garderions la liberté d’exprimer notre point de vue particulier en cas de désaccords1.

Face à la montée de l’extrême droite, aux incertitudes qui en découlent, et à la suite de la place politique prise par l’Union populaire et des initiatives qu’elle prend, les dangers, de toutes sortes, sont réels. Mais lorsque l’histoire s’accélère, il n’y a pas d’autre choix que d’entrer dans la brèche pour l’élargir, de prendre des initiatives pour développer les conflits de classe et défendre à l’intérieur, nos orientations révolutionnaires.

  • 1. Lire à ce sujet le chapitre « Le “Communisme de gauche” en Angleterre » de La maladie infantile du communisme (le “gauchisme”) » de Lénine notamment le dernier tiers où il aborde les possibilités d’accord électoraux avec les réformistes.