Quatre cents personnes se sont rassemblées à Charleroi le 27 avril dernier pour participer à un meeting sur le thème « Construisons ensemble une alternative de gauche à la crise capitaliste ».Cette réunion importante était convoquée par la section régionale du syndicat socialiste FGTB (120 000 affiliés sur la région de Charleroi) ainsi que par la Centrale nationale des employés du syndicat chrétien CSC (160 000 affiliés en Belgique francophone). Elle avait pour objet la construction d’une alternative politique anticapitaliste, à gauche de la social-démocratie et d’Ecolo. Le tract d’invitation affirmait la nécessité de construire « un relais politique d’un type nouveau qui rassemble, se nourrit des résistances sociales et qui les renforce (…) pour redonner espoir au monde du travail ». Et pour que les choses soient claires : « Certains pensent qu’il serait possible de peser sur le PS et Ecolo pour qu’ils (re)deviennent des partis de gauche. C’est une illusion. Nous préférons inviter les militants de gauche du PS et d’Ecolo à nous rejoindre pour construire ensemble une alternative. »
Une initiative hors du communLe moteur principal en est la section régionale FGTB. Une nouvelle génération de responsables syndicaux y a émergé, qui ne sont plus membres du Parti socialiste, ou dont l’adhésion est formelle. De son côté, le PS local, longtemps hégémonique, a été éclaboussé par des scandales de corruption d’autant plus écœurants qu’ils ont pour théâtre une région où le chômage et la pauvreté ont une ampleur spectaculaire. Jadis extrêmement forte, l’emprise de la bureaucratie social-démocrate sur le syndicat s’est donc affaiblie petit à petit. En même temps, un espace de libre expression s’est développé au sein du syndicat, par le biais d’assemblées générales interprofessionnelles ouvertes aux militants. Au sein de celles-ci, les critiques de la politique néolibérale du PS – au gouvernement sans interruption depuis 1987 – se sont faites de plus en plus fortes et fréquentes. Le fait qu’une nouvelle vague de mesures d’austérité particulièrement brutales soit lancée depuis deux ans par un gouvernement dont le Premier ministre est le président du PS, a accéléré la radicalisation.Celle-ci est apparue en pleine lumière le 1er Mai 2012. Ce jour-là, le secrétaire régional interprofessionnel de la FGTB, Daniel Piron, a prononcé un discours remarquable. Dénonçant l’austérité, il constatait que le PS et Ecolo n’étaient plus un relais politique aux revendications du monde du travail, récusait la logique du « moindre mal » (« une insulte à notre intelligence », dit-il) et appelait à un rassemblement politique à gauche de ces partis pour rendre espoir et dignité aux travailleurs et travailleuses. Quelques semaines plus tard, le Secrétaire général de la CNE, Felipe Van Keirsbilck, s’exprimait dans le même sens dans les colonnes de la Gauche. Plusieurs responsables syndicaux d’autres régions faisaient de même, avec des nuances.
Syndicats et partisC’est la toute première fois que des instances syndicales à un tel niveau de responsabilité prennent une initiative politique. Le mouvement ouvrier belge est en effet caractérisé par l’existence de syndicats massifs qui laissent le monopole de l’expression politique à leurs « amis » sociaux-démocrates ou démo-chrétiens. Du fait de l’évolution social-libérale du PS, ce système de « relais » fonctionne à l’envers. Un phénomène analogue, mais moins visible, est à l’œuvre dans la « famille » chrétienne en Flandre, car la CSC y est confrontée à l’affaiblissement de son allié, le parti bourgeois Cd&V, ainsi qu’à l’affaiblissement de ses « relais » au sein de celui-ci. C’est dire que l’appel de la FGTB de Charleroi entre en résonance avec de nombreuses fractures, plus ou moins ouvertes, dans le système complexe qui permet à la classe dominante de contrôler le mouvement ouvrier par le truchement des appareils bureaucratiques. S’ils tiennent bon – et ils en ont la volonté – les syndicalistes de Charleroi pourraient bien écrire une page d’histoire.En attendant, leur initiative place toute la gauche radicale devant d’énormes responsabilités. Les organisations seront-elles à la hauteur ? À l’exception de la LCR (qui avait anticipé l’événement par le biais d’une « lettre ouverte aux syndicalistes » en janvier 2012), les autres formations n’ont, dans un premier temps, pas fait grand-chose pour populariser l’Appel du 1er Mai 2012. Il est vrai que celui-ci bouscule les agendas de chacun. Cependant, depuis janvier 2013, toutes soutiennent explicitement la démarche, et les responsables syndicaux les ont réunies dans un comité de soutien qui a contribué à mobiliser pour la journée du 27 avril. La prochaine étape, qui découle de celle-ci, est la rédaction d’un plan d’urgence anticapitaliste.
De Bruxelles, Daniel Tanuro