Pas de fête de la musique après 4 heures du matin... mais la fête de la matraque à Nantes ! Pour prétendument rétablir le calme dans une friche portuaire déserte, une soirée électro a été violemment interrompue par des tirs de lacrymogène, grenades explosives, balles en caoutchouc... Des jeunes ont été poussés à se jeter dans la Loire. Et l’un d’entre eux, Steve, a disparu.
Pourquoi un tel déferlement de violence pour un dépassement de l’autorisation d’émettre du son d’environ 30 minutes ? Comment peut-on mourir pour quelques notes de musique en plus ?
Logique liberticide et autoritaire
La réponse n’est pas tant à chercher dans une hypothétique bavure ou erreur de commandement. Derrière de tels actes s’exprime en effet une logique profonde et systémique. Une logique particulièrement à l’œuvre à Nantes qui, depuis l’existence de la ZAD et du mouvement de résistance à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, est l’un des laboratoires privilégiés du maintien de l’ordre de l’appareil d’État. Les violences contre le mouvement social y sont récurrentes. Même si la ville ne fait pas exception, celle-ci reste un symbole dans ce domaine. Et bien évidemment, les quartiers populaires sont également ciblés : il y a près d’un an, dans le quartier du Breil-Malville c’est un jeune de 22 ans, Aboubakar Fofana, qui était tué par un policier lors d’un contrôle d’identité.
Contrôler l’espace public
On ne compte plus les blesséEs et les mutiléEs, mais force est de constater qu’il y a un véritable saut qualitatif dans ce qui s’est passé lors de la fête de la musique. La violence d’État s’exerce en direction d’espaces nouveaux et de populations nouvelles. On applique à des secteurs toujours plus larges de la société ce qui était déjà à l’œuvre contre les jeunes des quartiers populaires, puis les militantEs syndicaux, écologistes, les migrantEs, puis les Gilets jaunes… puis les fêtardEs.
On utilise les mêmes recettes pour justifier de tels actes, notamment celle qui consiste à disqualifier les victimes qui sont soient des étrangerEs, des fraudeurEs, des délinquantEs, des asociaux, des radicaux… et maintenant des drogués et des avinés.
L’objectif reste le même : contrôler l’espace public. Dissuader de manifester, de faire grève, de s’amuser… et ainsi banaliser l’usage de la violence comme mode de gouvernance. Mater tout particulièrement la jeunesse, à l’image du gazage des manifestantEs pour le climat sur le pont Sully à Paris, revêt un intérêt majeur pour un gouvernement qui n’a pas l’intention de changer de cap et qui entend continuer à s’attaquer davantage à l’ensemble de nos droits sociaux et démocratiques. La violence d’État est une composante de l’accentuation de la guerre de classe.
Toujours plus d’impunité policière
Plus largement, ce sont des dizaines d’années de politiques sécuritaires, de législations d’exception et de renforcement de l’appareil policier et de son armement qui participent du climat ambiant, par lequel des flics peuvent mutiler ou tuer sans être inquiétés.
L’accentuation de l’impunité policière est garantie par les plus hauts sommets de l’État. Les affaires Benalla et Legay sont, chacune à leur manière, des cas d’école des manipulations et mensonges de l’État-Macron, prêt à dissimuler les pires exactions et les pires pratiques, notamment par le recours aux faux témoignages. On pense ici également à l’affaire Adama Traoré, ou au cas de Zineb Redouane, victime d’un tir de grenade à Marseille le 1er décembre.
Ce sont de véritables permis de tuer qui sont donnés aux forces de répression. Les policiers se lâchent tout simplement parce qu’ils ne risquent rien. Ils sont protégés par leur hiérarchie qui couvrira leurs actes, quand bien même des voies dissonantes se feraient entendre dans leurs propres rangs. Elles sont minoritaires, mais indiquent qu’il y a bien accentuation de la violence des pratiques.
Justice et vérité !
La saisie de l’IGPN par Castaner n’est en rien liée à une quelconque volonté de dénoncer l’intervention, mais bien davantage une posture visant à calmer les interrogations des témoins, à juguler les réactions dans la population qui réclame justice et vérité.
Une procédure qui voudrait créer l’illusion d’une prétendue neutralité de l’État, mais qui a en réalité peu de probabilité d’aboutir. Aucune des 240 procédures contre les violences policières déposées dans le cadre du mouvement des Gilets jaunes n’a donné lieu a des sanctions, des suspensions… Elles sont systématiquement classées sans suite.
Les déclarations du préfet de Loire-Atlantique, qui justifie toute l’opération et n’a pas hésité à faire pression sur la famille et les soutiens de Steve, traduisent bien davantage la réalité. Un gouvernement qui assume tout, jusqu’à la mort d’un jeune homme !
Il faut évidemment que justice soit faite pour Steve et pour les victimes de la fête de la musique à Nantes et, au-delà, pour toutes les victimes des politiques répressives, que l’État voudrait réduire au silence.
Mais, plus encore, c’est l’ensemble du mouvement social qui doit dénoncer ces pratiques, être solidaire des victimes et le manifester. Tout recul de nos libertés est un recul global pour l’ensemble de notre camp social. Tout contrôle de l’espace public fait reculer l’espace politique et notre capacité à résister. À bas l’État policier !
Sandra Cormier