La dernière lubie de Sarkozy est « le modèle allemand ». Il tente de nous faire croire à un prétendu miracle qui passerait par plus de compétitivité et moins de « coût du travail ». Mais, une fois encore, le président se moque de la population et oublie de préciser le prix payé par les salariéEs allemandEs.Pour justifier son nouveau tour de vis antisocial, Sarkozy n’a plus que le modèle allemand à la bouche.Il est vrai que le haut niveau des exportations, l’excédent commercial, les grèves rares, le taux de chômage, ont de quoi faire rêver la bourgeoisie française. Pour autant les évidences sarkoziennes ne sont souvent qu’un maquillage des réalités.
Deux exemples :• prélèvements sociaux : deux fois plus lourds en France, d’après Sarko ? Faux. Au-delà des différences de structure, « leur coût global pour l’employeur est sensiblement le même », c’est la Cour des comptes qui le dit. De même pour la TVA (7 % du PIB). Idem pour les impôts.• 35 heures : pour les officines patronales et leurs relais, c’est là l’origine de nos maux. Mais pour l’OFCE par exemple, c’est 1 879 heures par an en France contre 1 694 en Allemagne.
Cela dit, l’Allemagne est bien pour les capitalistes un pays à imiter. Regardons-y de plus près. • la règle d’or : en gros « il faut zéro déficit public en France, puisque ça marche en Allemagne ». Résultat : des restrictions au détriment de la qualité des équipements publics et des plus démunis.• les salaires : entre 1993 et 2010, leur part est passée de 73 à 64 % du revenu national. Ce gel, unique en Europe, explique presque seul la compétitivité allemande.• le salaire minimum : en France, c’est une misère : 7,23 euros net de l’heure. En Allemagne, il n’existe pas de minimum légal. Il y a des négociations annuelles par branches et par régions, donc avec de fortes disparités. Et les conventions collectives ne couvrent bientôt plus que 50 % des salariéEs. Un million de personnes gagnent moins de 5 euros brut de l’heure, 2,4 millions entre 5 et 7,50, 7 millions moins de 8 euros. Le syndicat DGB (6 millions de membres) réclame 8,50 euros. • minima sociaux : en France, on a le RSA à 473,93 euros pour une personne seule. En Allemagne c’est « Hartz IV » : 369 euros plus le « loyer chauffé ». Cela concerne 8 millions de personnes, dont un quart d’enfants.• le chômage : 10 % en France, moins de 6 % en Allemagne. Mais à quel prix ? L’indemnisation ne dure qu’un an, le chômeur a l’obligation d’accepter la deuxième proposition d’emploi, sinon c’est l’aide sociale et l’obligation de travailler pour un euro de l’heure pour avoir droit à l’allocation… à condition de prouver qu’on n’a aucune ressource personnelle ni familiale. Et cela qu’on ait cotisé deux ans ou 40 !• précarité : sur les 36 millions de salariéEs qui ont un boulot, seuls 23 millions ont encore un CDI à temps plein. Il y a 6 millions de précaires qui gagnent en moyenne 48 % de moins que les CDI : cela donne, pour le même travail, 7,91 euros au lieu de 15 euros.Il y a aussi les emplois à temps partiel, complétés par un autre petit boulot. Ce sont les 7 millions de « mini jobs » à moins de 400 euros par mois (un emploi sur dix), avec zéro cotisation pour le patron et une couverture sociale minimale pour le salarié.• Pactes pour l’emploi : « ah, si tout le monde s’était donné la main, on aurait pu éviter la perte de 100 000 emplois industriels en trois ans ». Tu parles… En Allemagne, les dirigeants syndicaux des grandes entreprises sont souvent dociles et intégrés au management. Depuis l’accord chez Volkswagen en 1994, ils poussent à échanger baisses de revenu et flexibilité contre le maintien (souvent partiel) de l’emploi. Le sort du reste du salariat ne les intéresse guère. D’où la volonté d’amener les syndicats français à accepter ces « accords compétitivité-emploi » négociés entreprise par entreprise. La garantie d’y perdre pour le plus grand nombre.
Mais là où le prince du mensonge dit vrai, c’est quand il se délecte à nommer les responsables de la plupart des mesures qui lui plaisent tant : le gouvernement Schröder-Fischer (« socialiste » et Vert) entre 2003 et 2005. Comme les syndicats ont laissé faire au nom de la « défense de la compétitivité du pays », les salariéEs n’ont pas eu d’autre choix que d’« accepter des sacrifices », subissant ainsi les conditions imposées par le patronat. Comment s’étonner alors que le nombre d’arrêts de travail pour surmenage ait augmenté de 80 % en dix ans ? On est là bien au cœur du « merkozysme » : utiliser la crise pour imposer les exigences de l’aile marchande du capital aux travailleurs de France et aux autres. Plutôt que de raviver les préventions « anti-Boches » à grands renforts de cocoricos, c’est à ce niveau qu’il faut construire la résistance, ici où le système social reste encore un obstacle sérieux à « la concurrence libre et non faussée », tout en en recherchant les convergences par-delà les frontières.
Pierre Vandevoorde