Publié le Jeudi 19 mars 2020 à 20h57.

Ne nous habituons pas au pire : refusons leur état d’urgence !

Après des semaines passées à rassurer la population, le gouvernement français a bien été obligé de bouger. Raillé par une partie de la presse des autres pays européens, très en retard par rapport à l’Italie, Macron est apparu pour ce qu’il était, un cynique qui n’a pour seul objectif que la continuité de l’activité économique. Mais le pari était trop risqué. Comment prendre la responsabilité de laisser 70% de la population être infectée en quelques semaines quand on sait que le système de santé, mis à mal par deux décennies de contre-réformes néolibérales, ne pourra pas supporter la charge ? Les estimations vont bon train mais il y a fort à parier qu’en maintenant le cap de « l’immunité de groupe » et de la poursuite de toute la vie économique, la France aurait connu une catastrophe sanitaire d’une rare ampleur, comptant ses mortEs par centaines de milliers. 

« Nous sommes en guerre »

Changement de braquet donc, à la veille des élections municipales, malgré le maintien contesté du premier tour. De l’immunité de groupe, nous entrons dans un confinement qui se veut le plus radical de tous les pays de l’UE, et dont nous ne savons pas à l’heure actuelle s’il perdurera quelques semaines ou plusieurs mois. Le mot d’ordre est clair : restez chez vous ! Une injonction cependant contradictoire avec le choix de maintenir de nombreux secteurs productifs en état de marche comme nous l’avons mis en lumière dans plusieurs de nos articles, signe d’un système qui, même en temps de crise majeure, continue de fonctionner selon sa propre logique, au risque de mettre en danger une fraction significative du monde du travail.

Alors, pour résoudre cette contradiction, le pouvoir en place anticipe et s’organise. Du « Nous sommes en guerre » de lundi soir, nous sommes passé à « l’état d’urgence sanitaire ». Ce qui n’est pas sans rappeler le discours d’un certain Manuel Valls qui, après les attentats du 13 novembre 2015, en appelait déjà, alors, à l’union nationale, déclarant que nous étions en guerre et proclamant l’état d’urgence, passé depuis à la postérité constitutionnelle. Le gouvernement prend donc une série d’ordonnances, regroupées sous le nom de « Projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de CoVid-19 », pendant que l’armée et la police se mettent en place dans les rues et que l’UE ferme ses frontières. Pire, la durée de cet état d’urgence, y compris s’il est traduit par une loi après son passage au Parlement, n’est pas définie clairement et il pourra donc s’appliquer au bon vouloir du gouvernement à chaque nouvelle crise sanitaire.

Leur état d’urgence et le nôtre

Depuis lundi donc, nous avons basculé temporairement. 100 000 policiers et militaires déployés, 4 000 amendes forfaitaires en 24h pour circulation sans justification dans les rues, limitation drastique des libertés de se déplacer, de se réunir, etc. Que l’on ne se méprenne pas cependant : nous ne faisons pas partie des sceptiques vis-à-vis de la crise sanitaire, nous avons par ailleurs exigé des mesures de confinement dès le départ, alors même que les ministres sous-estimaient largement les risques. Mais nous n’acceptons pas ces mesures à n’importe quel prix. Nous ne nous satisferons jamais de la limitation des libertés individuelles et collectives, de voir des uniformes fleurir dans toutes les rues avec le droit de réprimer comme bon leur semble, au nom de l’urgence sanitaire. La militarisation de l’espace n’augure jamais rien de bon, et la présence policière porte les stigmates de ce qu’elle est en temps « normal », violente, autoritaire, souvent paternaliste, et discriminatoire dans une série de quartiers. Nous n’acceptons pas la fermeture des frontières, à l’heure d’une catastrophe migratoire qui se poursuit. Nous refusons la délation, l’incitation à l’auto-contrôle et à la discipline aveugle, imposée par la force ou par le voisinage. Nous refusons de voir s’affaiblir les droits de la défense de par la limitation de l’accompagnement des personnes arrêtées et placées en garde à vue. La crise sanitaire que nous connaissons va se prolonger et connaîtra certainement des répliques, dont l’ampleur et la durée sont difficilement prévisibles. Face à cela, nous devrons non seulement imposer des mesures sociales et économiques de planification et d’extension des droits pour l’ensemble du monde du travail, mais également faire face de façon consciente et organisée, disciplinés collectivement, dans un cadre solidaire et démocratique. Pas sous la menace d’une sanction ou d’une peine quelconque, pas au prix de notre santé sur le lieu de travail ou dans la rue.

Notre état d’urgence, ce sont des moyens pour le système public de santé, pour la recherche scientifique, pour la solidarité et la prise en charge des plus démuniEs, pour l’augmentation des salaires et de la protection sociale, pour la réquisition des entreprises qui produisent du matériel médical et des traitements. Alors, sans attendre, dès demain, portons ce discours autour de nous, ne nous habituons pas au pire.