Publié le Mardi 5 juillet 2011 à 11h31.

Réforme de la Justice : les mineurs au pilori

La réforme de la justice des mineurs va criminaliser encore davantage la jeunesse défavorisée. Explications d’Odile Barral, juge d’instance à Albi, ancienne juge des enfants à Toulouse, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature. En quoi la réforme de la justice des mineurs réduit-elle le rôle du juge des enfants ?La réforme envisagée a deux aspects essentiels :- le renvoi devant le tribunal correctionnel des mineurs (le tribunal correctionnel habituel, si ce n’est qu’il comprendra un juge des enfants) de tous les mineurs récidivistes de plus de seize ans ; - la possibilité pour le procureur de renvoyer devant le tribunal pour enfants et le tribunal correctionnel pour un jugement immédiat les procédures concernant un mineur à partir du moment où l’on a déjà des éléments de personnalité (éventuellement dans le cadre d’un dossier de protection d’enfance en danger). Ces deux modalités sont étroitement liées : elles aboutissent à faire disparaître la notion essentielle de suivi par le juge des enfants, les décisions d’investigation à prendre, les mesures éducatives de suivi à mettre en place avant le jugement et l’appréciation du bon moment notamment pour ce jugement. L’accélération des procédures va transformer la nature de la justice des mineurs qui, au lieu d’être une justice du suivi, deviendra, comme celle des majeurs, une justice de la réponse immédiate et amènera vite à l’escalade de réponses de plus en plus répressives à l’accumulation d’actes par des adolescents. Pourtant les adolescents en dérive ne vont pas se transformer magiquement sous l’effet dissuasif de la peine. Le tribunal correctionnel des mineurs, même s’il était présidé par un juge des enfants, ne disposera jamais du même temps d’audience que celui pris aujourd’hui par les tribunaux pour enfants, il interviendra ponctuellement dans la vie des adolescents et ne constituera pas le même repère. Par ailleurs, il est désastreux de faire disparaître les tribunaux pour enfants qui sont des exemples très réussis de l’ouverture de la justice aux citoyens. Les assesseurs des tribunaux pour enfants jouent un rôle important aujourd’hui. Pour justifier cette réforme, le gouvernement ne cesse d’affirmer que les mineurs d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes qu’en 1945. Qu’en pensez-vous  ?Peut-être faut-il rappeler qu’en 1945 on était mineur jusqu’à l’âge de 21 ans...L’assertion perpétuellement ressassée selon laquelle les adolescents d’aujourd’hui seraient différents de ceux d’hier ne repose sur aucun élément objectif ni même sur une explication rationnelle. Le simple fait que les générations d’aujourd’hui sont plus grandes physiquement qu’hier, ne pourrait suffire par lui-même à caractériser une plus grande maturité. Ceux qui voudraient faire baisser la majorité pénale, ne proposent pas pour autant de donner les mêmes droits civils qu’aux majeurs, ce qui est tout à fait choquant.Nous vivons au contraire dans une époque où il est tout à fait admis que l’adolescence se prolonge. Dans les milieux plus aisés il ne paraît pas choquant que des jeunes de 20 ans et plus soient toujours chez leurs parents et ne s’assument pas totalement. Il est donc particulièrement choquant que, s’agissant de mineurs d’origine sociale et parfois ethnique différente, on veuille au contraire leur appliquer le traitement pénal des adultes.Plusieurs syndicats de policiers ne cessent d’affirmer que les mineurs sont impunis. Qu’en est-il en réalité ? L’impunité des mineurs est également réaffirmée comme une vérité, pourtant totalement inexacte.Si la justice des mineurs a dans l’ensemble résisté à la dérive sécuritaire de ces dernières années, l’incarcération des mineurs augmente régulièrement depuis plusieurs mois. Le principe de la tolérance zéro est appliqué aux mineurs pratiquement sans aucune exception, on peut dire qu’ « on ne leur passe rien ». Globalement les professionnels de la justice des mineurs constatent un plus grand recours aux peines par préférence aux mesures éducatives, une accélération des procédures qui mène souvent à une précipitation de la décision de mise en détention. Il demeure vrai que tous les mineurs déferrés au procureur ne sont pas aussitôt mis en détention, bien heureusement : cela ne signifie pas l’impunité car la prison n’est évidemment pas la seule réponse et doit être un dernier recours. Les partisans d’une répression plus sévère des mineurs conviennent d’ailleurs la plupart du temps, au moins dans le discours, que la prison n’est pas une bonne solution pour les mineurs et que, bien souvent, elle aggrave la situation. Le discours des syndicats de policiers cherche à décrédibiliser les autres mesures telles que le suivi éducatif, le travail d’intérêt général, le placement, la réparation, en feignant de croire que rien ne se fait.Il est par ailleurs exact que parfois la prise en charge d’adolescents tarde à venir, faute de moyens suffisants en milieu ouvert. C’est donc là qu’il faudrait mettre tous les efforts, au lieu de voter sans cesse de nouvelles lois. Propos recueillis par Anne Leclerc