Une formidable accélération politique. C’est ainsi que l’on peut décrire ce que nous connaissons depuis une dizaine de jours autour de la question du racisme et des violences policières. Bien malin serait celui qui aurait pu affirmer, il y a deux semaines, que ces thématiques allaient occuper une place centrale dans le débat public, au point qu’Assa Traoré soit invitée en plateau sur BFM-TV et que Christophe Castaner soit contraint de faire des annonces très mal reçues par les syndicats de policiers.
La mort de George Floyd aux USA, et les mobilisations qui s’en sont suivies, ont évidemment joué un rôle de déclencheur dans la séquence que nous connaissons actuellement. Il serait toutefois particulièrement erroné de considérer, comme le font certains éditorialistes et responsables politiques, que les importantes manifestations qui ont eu lieu en France ces derniers jours ne seraient qu’une forme de mimétisme de ce qui se passe aux USA. Dans l’hexagone comme ailleurs, se combiner en effet des problématiques communes au niveau international et des problématiques spécifiques liées aux histoires nationales.
Racisme structurel
L’argument selon lequel « la France, ce n’est pas les États-Unis », visant à disqualifier la dénonciation du racisme structurel en France, a, à ce titre, autant de consistance que l’argument « Israël, ce n’est pas l’Afrique du sud », brandi contre celles et ceux qui qualifient Israël d’État d’apartheid. Il n’y a jamais de stricte équivalence entre deux situations historiques et/ou nationales, ce qui n’empêche pas d’identifier des processus similaires et de regrouper des situations sous un « label » commun. Viendrait-il à l’idée de qui que ce soit d’affirmer que l’on ne peut pas parler de démocratie représentative en France et aux USA au prétexte que « la France, ce n’est pas les États-Unis » ?
Le déni collectif qui a pu s’afficher dans les médias dominants face au caractère systémique du racisme fait d’ailleurs précisément partie de la mécanique du… racisme systémique, dont l’une des conditions de reproduction est son « auto-négation » par sa dilution dans une dénonciation de « mauvais comportements » individuels. Notons que ce phénomène fait écho aux discours affirmant qu’il existerait des « hommes sexistes » et des « comportements sexistes » mais niant le caractère structurel de l’oppression des femmes… Ces derniers jours, cette attitude vis-à-vis du racisme a été poussée jusqu’à la caricature, avec la répétition ad nauseam de la formule « Il y a des policiers racistes mais il n’y a pas de racisme dans la police ».
Il se passe « quelque chose »
Les mobilisations antiracistes de ces deux dernières semaines ne sont pas un feu de paille, et traduisent des dynamiques profondément ancrées dans la société. Lorsque, le 30 mai, des milliers de sans-papiers et leurs soutiens défilent dans les rues de Paris malgré une interdiction préfectorale, c’est qu’il se passe « quelque chose ». Lorsque, le 2 juin, des dizaines de milliers de personnes, très majoritairement des jeunes, voire des très jeunes, raciséEs, issus des quartiers populaires, se retrouvent devant le TGI de Paris autour de mots d’ordre particulièrement radicaux, là encore malgré une interdiction préfectorale, c’est qu’il se passe « quelque chose ».
Oui, il existe un racisme institutionnel en France, qui s’exprime tout autant dans les politiques criminelles à l’égard des migrantEs et des sans-papiers que dans la pratique systématique des contrôles au faciès, souvent à l’origine des crimes policiers. Et c’est contre ce racisme institutionnel que des dizaines de milliers de personnes se lèvent aujourd’hui en France, au premier rang desquelles les « premierEs concernéEs », pas contre des idées dangereuses ou des comportements individuels intolérables.
Un rapport de forces est engagé
Ces derniers jours, la question du racisme et des violences policières a été posée dans le débat public à une échelle inédite en France. La fébrilité du pouvoir est palpable, lui qui est si dépendant de ses bonnes relations avec les flics et leurs organisations, au point que Castaner a été contraint de faire des annonces (fin de l’utilisation de la clé d’étranglement, suspension des policiers coupables de racisme) et que Macron lui-même est intervenu auprès de la ministre de la Justice Nicole Belloubet pour qu’elle se penche au plus vite sur le cas d’Adama Traoré.
La réponse du Comité Adama a été cinglante, avec le refus de rencontrer la ministre et l’appel à une nouvelle journée de mobilisation samedi 13 juin, tandis que la Marche des Solidarités appelle à se mobiliser le 20 juin avec les sans-papiers. Un rapport de forces est engagé, qu’il s’agit de continuer à construire en refusant toutes les diversions, qu’elles viennent du pouvoir ou d’une certaine « gauche » qui brille depuis de longues années par son absence dans les luttes contre le racisme et contre les violences policières, quand elle n’a pas été elle-même la cible légitime de ces combats lorsqu’elle était au pouvoir. Un rapport de forces qui a déjà, en outre, commencé à contribuer à modifier le climat politique et social global, donnant un explosivité à la sortie du confinement et jouant le rôle d’encouragement à l’ensemble des mobilisations.