Nous ne pouvons qu’être d’accord avec Cécile Duflot lorsqu’elle se positionne pour la dépénalisation du cannabis. Reste à espérer qu’elle ne l’a pas fait seulement avant une élection pour se démarquer du PS, mais que ce combat se poursuivra dans les mois à venir. C’est pour cela qu’une fois de plus, nous participerons au rassemblement du 18 joint, le 18 juin à la Villette à Paris. Quelques jours avant les législatives, Cecile Duflot, la nouvelle ministre du Logement, a réussi à faire le « buzz », se déclarant « toujours favorable à la dépénalisation du cannabis. Il faut considérer que le cannabis, c’est comme l’alcool et le tabac, même régime : une politique de santé publique et de prévention, notamment vis-à-vis des plus jeunes ». La droite, sans surprise, s’est emparée de la question pour dénoncer le « laxisme » de la gauche. Le PS, qui aurait pu faire preuve d’un peu d’ouverture sur cette question, a aussitôt rappelé son opposition à toute dépénalisation du cannabis. Valls, le nouveau ministre de l’Intérieur, a bien enfilé la tenue de premier flic de France, étant « fermement opposé, au nom même des valeurs de gauche [...], à toute concession dans ce domaine ». Pourtant, il est évident pour la grande majorité des professionnels de santé que la criminalisation de la simple consommation de cannabis amène dans une impasse. L’Observatoire européen des drogues et de la toxicomanie (OEDT) vient de publier une nouvelle étude qui le confirme clairement en comparant la toxicomanie dans 36 pays différents. Alors que la France a les lois les plus répressives, elle est bonne dernière en termes de consommation chez les jeunes de 15-16 ans : 39 % des jeunes français ont déjà consommé du cannabis (chiffre en hausse), 10 % ont déjà essayé une autre drogue et même la consommation de tabac remonte avec 60 % qui ont déjà fumé (68 % pour les filles, 58 % pour les garçons). Si la raison qui justifie la pénalisation du cannabis est la santé des gens, la politique suivie par la France, que souhaite poursuivre Hollande, est totalement contre-productive. On le sait depuis fort longtemps ; rappelons-nous l’expérience américaine, après la Première Guerre mondiale, de prohibition de l’alcool, qui ne fit que favoriser les gangs et Al Capone… Une interdiction prétexte à ficherPourquoi donc un tel acharnement à maintenir une loi absurde en termes de santé, et qui est bafouée quotidiennement par des millions de personnes ? La santé et la lutte contre la toxicomanie ne sont en réalité que des prétextes qui permettent en fait une répression croissante. En 2010, il y a eu 120 000 interpellations pour consommation de cannabis, 142 000 en 2011 : cela représente le quart des gardes à vue en France (hors infractions routières). En région parisienne, c’est même 40 % de l’activité judiciaire de la police qui est consacrée à la prétendue lutte contre la drogue. Il y a 24 000 poursuites par an pour simple consommation de cannabis alors même que l’OMS considère que l’alcool et le tabac sont des drogues bien plus néfastes pour la santé des populations (2 millions de morts dans le monde par an du simple tabagisme, totalement légal…). Le prétexte du cannabis est donc un moyen puissant pour fliquer, contrôler, ficher, mettre la pression sur des dizaines de milliers de jeunes chaque année, en particulier dans les quartiers populaires, et cibler les populations d’origine immigrée. À la suite des déclarations de Duflot, Georges Moréas, commissaire honoraire de la police, écrivait ainsi dans le Monde à propos de la criminalisation du cannabis : « J’ai donc posé la question à droite à gauche, dans les commissariats, et la réponse quasi unanime repose sur la connaissance de "la" population. En résumé, la loi qui pénalise l’usage des stupéfiants (un an de prison et 3 750 euros d’amende, jusqu’à cinq ans de prison pour certaines professions, comme les policiers) permet d’arrêter et de ficher un maximum de gens, et notamment des jeunes. "C’est le vivier de la délinquance de demain" m’a dit un commissaire. Cela peut paraître cynique, mais c’est le principe même d’un fichier : plus il contient de noms (auteurs, suspects, victimes, plaignants…), plus il est efficace ».
Il y a donc urgence à changer cette situation. En 1981, Mitterand avait « promis » dans ses 110 propositions la dépénalisation du cannabis. Cela n’a jamais été tenu. Il y a fort à parier que Hollande s’inscrive dans cette continuité. Cela illustre son respect du système policier. Légaliser le cannabis ne provoquerait pas la catastrophe annoncée et serait une réelle avancée pour commencer à faire de la prévention et de l’éducation. En effet, le capitalisme ne serait pas ébranlé par la légalisation : la Californie a fait par exemple un choix inverse en développant une économie capitaliste légale de production de cannabis et dépasse maintenant largement le Maroc en production, avec des milliers d’emplois…
Antoine Boulangé