Condamné en 1989 à la prison à perpétuité, dont dix-huit ans de sûreté, pour les meurtres de Georges Besse et René Audran, Jean-Marc Rouillan est finalement sorti de prison en octobre 2007. Mais au prétexte fallacieux d’une interview accordée à l’Express en 2008, il est de nouveau incarcéré. Voilà deux ans qu’il fait les frais d’une vengeance d’État à l’encontre des militants d’Action directe.De sa cellule, il a rédigé une lettre où il revient sur son engagement et sur la lutte révolutionnaire.Deux années d’emprisonnement pour une phrase dans une interview. Qui n’annonce aucune dévastation apocalyptique. Même pas sulfureuse. Une phrase que la cour d’appel a qualifiée d’« ambiguë ». Deux années d’emprisonnement pour des mots… Moi qui, à la sortie de Mai 68, aie fait le choix des armes et de l’action révolutionnaire, me voici, à 58 ans, incarcéré, suprême ironie, « sur parole ».Les magistrats de l’antiterrorisme donnent ainsi raison à l’adolescent que j’étais et qui, comme des milliers d’autres à travers l’Europe, avait fait ce choix en estimant qu’il était impossible d’agir en révolutionnaire dans les cadres de la politique bourgeoise. Pour nous, dans ce système, on ne parle librement qu’à la seule condition de balbutier les commandements des maîtres. Aveuglés par leurs certitudes réactionnaires, les juges parient sur la disparition sans retour d’une véritable opposition d’extrême gauche dans nos pays repus du malheur qu’ils causent ailleurs. Une opposition de classe capable de briser les appétits de prédateurs qui détournent les fruits du labeur des travailleurs. Une opposition conséquente en mesure de rallier le pôle politique des exploités. Qu’on le veuille ou non, ma détention révèle les peurs qui hantent toujours les gouvernements des pays impérialistes. Leurs craintes du fantôme de la résistance. Ma détention résulte de la volonté d’anéantir toute trace d’une alternative radicale aux habitudes rituelles des pétitions et des manifs-promenades, au verbiage hémiplégique des « plus à gauche, tu meurs », aux actions sans lendemain et aux comédies de la rupture avec le système et ses supplétifs. Malgré tout, la lutte continue : chaque combat, chaque escarmouche, chaque refus porte en son sein une alternative révolutionnaire. J’ai appris de nos défaites. Mais je ne me suis jamais dit qu’ils sont les plus forts, qu’il n’y a plus rien à faire. Je n’ai jamais renoncé à diffuser notre expérience combattante. Et j’assume toute la responsabilité politique de nos actions passées. Deux années d’emprisonnement pour des mots… Ma détention repose sur l’arbitraire. Qui est aussi le fruit « ordinaire » de la prolifération des lois et des décrets liberticides. Alors que les gouvernants organisent l’impunité des patrons voyous et des milliardaires voleurs, ils multiplient les lois durcissant le rapport de forces contre les exploités. Pas une année ne passe sans qu’on ne fasse voter en toute hâte (et souvent en catimini) une loi ou un amendement serrant encore la vis. Les tribunaux d’exception et les brigades antiterroristes encadrent l’autoritarisme de cet État policier. Ils en sont l’expression omnipotente. Et aujourd’hui les tribunaux « ordinaires » – qui expulsent les Roms et les travailleurs étrangers, qui innocentent les policiers assassins, qui emprisonnent par brassées le petit peuple des quartiers –, relayés par le cortège des brigades spéciales – qui contrôlent au faciès, fouillent, tabassent et jouent du Taser et du flashball –, font entrer l’arbitraire dans chaque relation « ordinaire » des plus pauvres avec l’État. Jusqu’où allons-nous accepter la dictature « ordinaire » de la droite extrême ? Cet État aurait-il cherché à donner un sens supplémentaire à ma vie militante qu’il n’aurait pu s’y prendre mieux ! Que je remercie en empruntant les mots du poète Heinrich Heine : « La haine de mes ennemis peut servir de garant que j’ai rempli jusqu’à ce jour cet emploi fidèlement et avec honneur. Je me montrerai toujours digne de cette haine. » Et pour conclure ce deuxième anniversaire, je remercie, du fond de ma cellule, tous les camarades, les amis et les inconnus qui incluent ma libération dans leur projet d’émancipation révolutionnaire. Jean-Marc Rouillan, centre de détention de Muret
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