Le 19 décembre, un poids lourd semait la mort et l’horreur dans un marché de Noël à Berlin (voir article en page 10). Depuis, d’autres attentats tout aussi meurtriers, revendiqués également par Daesh, ont été perpétrés à Bagdad et à Istanbul. Mais c’est en particulier celui de Berlin qui a donné lieu à une instrumentalisation politique de ce côté-ci du Rhin...
Suite à cet attentat, l’Allemagne a fait un bond dans la politique sécuritaire. Merkel durcit sa politique migratoire : prorogation des lois antiterroristes jusqu’en 2021, facilitation des assignations à résidence et des expulsions, diminution drastique de délivrance de titres de séjour. Les descentes de police dans les foyers d’accueil pour migrantEs, tous présumés terroristes (!) se sont multipliées. Les moyens de la police sont revus à la hausse : 1 milliard supplémentaire affecté à la police, le budget du ministère de l’Intérieur augmente de 53 %, celui du renseignement intérieur de 18 % et 13 % pour celui de l’extérieur, 7 500 postes de policiers créés ainsi que 1 300 postes d’agents pour le KFA (le FBI allemand).
Croisade de la haine contre les migrantEs
Le ton a été donné par Trump : « Ces terroristes doivent être éradiqués de la face de la Terre, une mission que nous allons mener à bien avec tous nos partenaires épris de liberté ». Puis sans surprise repris par les partis d’extrême droite occidentaux, dont celui de Marine Le Pen : « Combien faudra-t-il de massacres et de morts pour que nos gouvernements cessent de faire entrer dans nos pays dépourvus de frontières un nombre considérable de migrants alors que des terroristes islamistes s’y mêlent ? » Et d’exiger « le rétablissement immédiat des frontières nationales et l’arrêt des répartitions des migrants dans nos communes ».
La droite et l’extrême droite le répètent : « on est tous en danger ». Et de développer de manière constante, simpliste et bruyante, l’amalgame « migrantEs = terroristes » qui s’ancre de plus en plus profondément dans nos sociétés.
La fuite en avant sécuritaire comme unique réponse
Hollande donne le ton : « Nous avons un haut niveau de menace et nous avons un niveau et un plan de mobilisation et de vigilance particulièrement élevés aussi »... Le récent ministre de l’Intérieur Bruno Le Roux, lui, affirme « assurer la protection de notre territoire et de nos concitoyens ». Et pour Valls, « la menace est lourde, notamment en raison de la campagne présidentielle ».
Concrètement pour les fêtes de fin d’année, c’était le déploiement de 96 000 policiers et militaires, avec pour premier résultat chiffré : 300 arrestations... pour « agressions contre des policiers » ! Non cela ne rassure pas vraiment de faire la fête dans ces conditions...
Sans surprise, l’état d’urgence a été prorogé pour la cinquième fois, cela par une loi passée en procédure accélérée : dépôt du projet de loi le 10 décembre, adoption le 13 à l’Assemblée, le 15 au Sénat, promulgation le 19, et application à partir du 22 décembre jusqu’au 15 juillet 2017 ! Cela malgré le bilan très maigre de la précédente loi : depuis le 22 juillet, sur 590 perquisitions, seules 25 l’ont été pour « infractions à caractère terroriste ». Par contre, il y a eu 26 interdictions préfectorales de manifester et 94 personnes sont toujours assignées à résidence.
L’état d’urgence apparaît pour ce qu’il est : un maintien de l’ordre musclé pour faire passer une politique antisociale comme elle l’a rarement été (dont la mise en pratique de la loi travail va être la démonstration), une criminalisation de la contestation, et un encadrement militaro-policier de la société. Un formidable cadeau au prochain locataire de l’Elysée !
La France hors-la-loi !
Le Conseil d’État a émis des réserves. Nils Muizniks, commissaire aux droits de l’homme au Conseil de l’Europe affirme que « plus l’état d’urgence dure, plus le risque est grand pour les démocraties et les droits de l’homme. Les risques de stigmatisation des musulmans et des migrants et la remise en cause de la cohésion sociale, sans efficacité sur le terrorisme, sont la victoire des terroristes ».
Mais de cela, non seulement l’État français s’en moque, mais il innove même sur l’allongement de la durée des assignations à résidence. Celles-ci pourront être de 12 mois, mais le ministre de l’Intérieur pourra désormais demander au juge des référés du Conseil d’ État leur prolongation de 3 mois en 3 mois. De quoi mieux détruire la vie de nombreux migrantEs ou militantEs en les obligeant à pointer jusqu’à trois fois par jour dans un commissariat !
Plus que jamais, la légitimité est dans notre camp. Nous n’avons que nos résistances, nos luttes, qu’ils veulent rendre illégales, pour gagner. L’heure est à la mobilisation, pour leur pourrir la vie et pour refuser le monde sécuritaire qu’ils veulent nous imposer.
Roseline Vachetta