La pandémie et les confinements ont fait ressentir avec plus de force la nécessité de pouvoir satisfaire des besoins essentiels, d’avoir accès à des biens communs indispensables à notre vie quotidienne.
Cette nécessité a été d’autant plus ressentie que les conditions de vie sont précaires. Un logement correct, la possibilité de bien se nourrir soi-même et sa famille, d’avoir un accès proche à des services de santé, un salaire ou des ressources suffisantes. La pandémie, nous rendant plus vulnérables mais sans supprimer la nécessité d’aller travailler ou, pour les plus jeunes, de suivre leurs études, a fait rejaillir avec plus de force l’importance des services fondamentaux du soin, de l’éducation, des transports publics, de carburant et de fourniture d’énergie, des services de voirie, des services administratifs de proximité. Elle a aussi mis en lumière les déplorables conditions de vie et le piètre état de santé dans les quartiers populaires, encore pires pour les personnes âgées avec la dégradation des services sociaux et de la prise en charge de la dépendance. Parallèlement, ce contexte a fait exploser la place des technologies de l’information et de la communication (les NTIC), rendant davantage dépendant d’internet, des systèmes de visioconférence, de toutes les plateformes de vente à distance et de leur réseau de livraison, décuplant aussi la place prise par les grands groupes capitalistes détenteurs des médias et des réseaux sociaux, accentuant la propagande réactionnaire et l’exclusion des populations les plus précaires.
C’est donc bien toute l’organisation de la vie en société qui a été mise en évidence, et l’urgence que celle-ci se fasse en fonction des besoins de la population. Organisation de la vie sociale car la satisfaction de ces besoins supposerait la prise en compte de l’intérêt collectif à tous les échelons de la société et non pas l’application des dogmes libéraux de la marchandisation et de la libre concurrence par la « main du marché ». Certains ont cru, à tort, que la crise sanitaire allait contraindre à inverser les priorités, à remettre l’humain au cœur des préoccupations des gouvernements, à remettre en cause le capitalisme néolibéral, source d’exclusions, de violences, d’aliénation et de négation des besoins sociaux.
Les destructeurs
Dans un moment d’égarement, Macron dans son discours du 12 mars 2020, au début du déferlement du Covid, avait déclaré, la main sur le cœur et en voulant épouser le sentiment de la population « Ce que révèle d'ores et déjà cette pandémie, c'est que la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre État-providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. Ce que révèle cette pandémie, c'est qu'il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie au fond à d'autres est une folie. » L’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu ! Hypocrisie aussi lamentable que l’appel de ces fossoyeurs de la santé à applaudir à 20h les personnels hospitaliers.
Macron candidat, en 2017, s’était engagé à supprimer 120 000 postes dans la fonction publique en cinq ans. Il a fermé la porte pendant trois ans à toutes les demandes faites par les personnels de la santé, de l’éducation nationale. Macron et ses gouvernements ont supprimé réellement 18 950 lits d’hospitalisation complète depuis 2017, sachant que 75 000 lits ont été supprimés de 2003 à 2019, dans un passage de relai entre Chirac, Sarkozy et Hollande.
Donc, la pandémie est apparue après des années d’attaques contre les services publics, de la santé, de l’éducation nationale, des administrations, menées dans le respect des exigences du capitalisme par la droite et la social-démocratie. Lits et services hospitaliers fermés, comme les hôpitaux de proximité, les bureaux de postes, les centres sociaux, des finances, réduction des moyens pour l’assistance, lignes et guichets SNCF fermés, suppression des postes de contact et transfert vers internet de l’essentiel des services aux usagers, disparition totale des services dans les zones rurales et les quartiers populaires
L’état de délabrement des services publics, mais en même temps leur caractère irremplaçable, n’en a pris que plus de visibilité.
Les gouvernements français successifs, surtout depuis les années 90, ont entrepris une offensive générale de détricotage des services publics. Cela a fait partie de l’offensive internationale du néolibéralisme, faite notamment d’allégement des impôts sur les entreprises et la richesse, de remise en cause de tous les systèmes budgétaires de redistribution ; fait aussi d’allégements des cotisations sociales patronales permettant le financement de la Sécurité sociale. Le transfert d’une part plus importante de la valeur ajoutée vers le capital est allé de pair avec une réduction drastique des budgets sociaux.
Cette orientation, mise en œuvre depuis trente ans est allée en sens inverse du mouvement qui avait été entrepris depuis la fin du XIXe siècle, période pendant laquelle s’était développée l’organisation par l’État d’un ensemble de services et d’entreprises publics.
Des services publics marchepieds du capitalisme
De longue date, la plupart des États avaient pris directement entre leurs mains ce que l’on appelle les fonctions régaliennes : armée, police, justice, diplomatie mais aussi, sous l’Ancien Régime, la poste, les manufactures d’armes, du tabac, des poudres et explosifs. À chaque étape, le but n’était évidemment pas de satisfaire les besoins de la population mais de garder au niveau de l’État centralisé une série d’activités dont il voulait avoir la totale maîtrise... Au XIXe siècle, avec la révolution industrielle, c’est l’État qui a aidé le capitalisme naissant à disposer de réseaux, notamment les chemins de fer, l’énergie et les télécommunications.
Un vrai changement apparaîtra au début du XXe siècle, lorsque les courants socialistes et républicains développeront une conception globale du service public, contrant la place du clergé, dans laquelle l’État doit directement être fournisseur de prestations et de services pour les citoyens, les « usagers ». L’école laïque, l’hôpital public sont les symboles de cette préoccupation, tout comme les bains, les bibliothèques, l’éclairage et les théâtres publics, les logements ouvriers. Là encore, aucune remise en cause du capitalisme, mais une réelle amélioration des conditions de vie ouvrières.
La SNCF n’est créée dans le cadre d’une entreprise publique en 1937 que par la faillite des entrepreneurs privés. La fin des années 1940 voit l’âge d’or du secteur public avec la nationalisation des Charbonnages, de l’EDF-GDF, de Renault, de quatre banques de dépôt, de la RATP, d’Air France…
Donc, les services organisés par l’État n’ont jamais eu comme but premier la satisfaction des besoins exprimés par les classes populaires, mais les travailleurEs ont pu aussi, pendant des décennies, bénéficier du développement de services, gratuits ou à bas prix, représentant un acquis fondamental du système social français. Cette perception s’est évidemment accentuée considérablement après 1945 avec la vague de nationalisations qui a fait entrer tout un pan de l’industrie française dans le domaine public. Par ailleurs, les millions de travailleurEs, salariéEs de ces services et entreprises publiques bénéficiaient évidemment d’une garantie d’emploi et de salaires leur évitant souvent la précarité existant dans le secteur privé. Même si ce ne sont pas des batailles ouvrières qui ont imposé la création de services publics dans une vision socialiste, l’appareil industriel a été partiellement nationalisé du fait de la carence des entrepreneurs privés ou par la nécessité d’investissements que seul l’État pouvait prendre en charge. Le secteur et les services publics n’en ont pas mois représenté un acquis. Certes, le rapport de forces, notamment dans l’après-guerre, imposait à l’État capitaliste de faire des compromis avec le mouvement ouvrier, mais du coup, des pans entiers de l’économie ont échappé pendant des décennies à la seule logique du profit et ont permis la satisfaction à moindre coût de besoins sociaux. C’est d’ailleurs cette situation qui a permis aux salariés de ces secteurs de bénéficier de conditions de travail, de sécurité d’emploi et de régimes de retraite plus favorables que le reste des travailleurs.
L’offensive du capitaliste néolibéral
Au milieu des années 1990 s’organise un renversement généralisé, une attaque frontale contre les services publics. Le symbole international, à l’époque, en a été l’accord général sur le commerce des services (AGCS) mis en place dans le cadre de la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Dans la foulée, depuis 30 ans, le secteur des services a connu une croissance exponentielle d’où la volonté des capitalistes, à la recherche constante de nouveaux secteurs de profits, de mettre la main sur les télécommunications (les NTIC), l’énergie, la santé, l’éducation, les transports, la protection sociale, la distribution de l’eau...
Le détricotage des services publics a aussi amené un changement même de vocabulaire, l’Union européenne parlant, notamment dans le Traité de Lisbonne (signé en 2007), de « services d’intérêt général » ou de « services économiques d’intérêt général » assurés principalement par des entreprises privées ou publiques s’adaptant aux règles du marché. Dans tous les domaines, transports, santé, eau, énergie, poste et télécommunications, le service public s’est donc organisé sur les bases de la rentabilité capitaliste, le privé en a pris les parties ou les « marchés » les plus profitables, les secteurs les plus coûteux ou les plus endettés restant publics.
Le dernier scandale du groupe international ORPEA, premier européen dans le secteur des cliniques privées et des maisons de retraite, qui fait des centaines de millions d’euros de bénéfices en pompant des subventions de la sécu, maltraitant les pensionnaires et falsifiant la mise en place de CDD, est le dernier révélateur de la contradiction entre profit capitaliste et satisfaction des besoins sociaux. Mais des dizaines d’exemples similaires pourraient être pris dans tous les domaines de la santé, des transports et des services en général. La mainmise du privé va de pair avec la dégradation du public. Entre 1997 et 2019, le nombre de femmes en âge de maternité qui se trouvent à plus de quarante-cinq minutes d’une maternité a plus que doublé, passant de 290 000 à 716 000. Le nombre de maternités en France a été divisé quasiment par trois ces quarante dernières années, passant de 1 369 en 1975 à 478 aujourd’hui, le nombre de lits ne cesse de décroître de 20 000 en 2000 à moins de 15 000 aujourd’hui… Cela avec des durées moyennes de séjour qui ont aussi diminué (de cinq jours en moyenne actuellement alors qu’elles étaient de huit jours en 1975). Dans la fonction publique, la précarité de cesse de progresser entre 2015 et 2019, le nombre de titulaires a baissé de 8 %, tandis que le nombre de contractuels augmentait de 20 %. Les profits privés dans les domaines de l’eau, de l’énergie, des transports, de la recherche médicale se font évidemment au détriment des usagers, de l’égalité d’accès, de la continuité du service. La vente à la découpe des logements sociaux depuis la loi ELAN (2018), les profits faramineux des sociétés d’autoroutes protégés et prorogés par Macron et Royal en 2015, le scandale de la société des eaux/Veolia à la Guadeloupe (et en général de la gestion de 60 % du réseau français par le privé pour un prix en moyenne 10% supérieur) ne sont que quelques exemples des conséquences de la gestion privée de services qui devraient être publics, du détournement de l’argent public et des sources de profits pour quelques groupes capitalistes sur le dos des usagers. La peau de chagrin des services publics est donc gérée par l’État comme support et complément au secteur privé des services, tout en étant bien sûr un recours en situation de crise comme celle du Covid, en premier lieu les personnels de santé publique et de l’Éducation nationale.
Imposer l’appropriation sociale
Nous voulons reconstruire/construire un réseau de services publics fondé sur l’appropriation sociale de tous les services pouvant permettre la satisfaction des besoins populaires fondamentaux : cela concerne en premier lieu tous les secteurs du soin, de la petite enfance à la dépendance avec un service public de santé global, la recréation de 100 000 emplois hospitaliers et arriver à un agent par pensionnaire d’EHPAD. Alors que le but de Macron est d’affaiblir encore le public et d’accroître le poids du secteur privé lucratif, il s’agit au contraire d’en finir avec une gestion privée du soin.
Il est malheureusement évident que dans les années à venir, les risques liés aux zoonoses et aux catastrophes climatiques ne vont pas disparaître et que les besoins ne vont que croître. Il est hors de question d’en faire une source de profit capitaliste. Il en est de même pour l’industrie pharmaceutique, comprenant la recherche. L’investissement public dans la recherche médicale a baissé de 28 % en dix ans et le principal groupe français Sanofi a supprimé 15% de ces effectifs de 2015 à 2019, et il vient de décider, en pleine crise du Covid, de supprimer 400 nouveaux postes dans le secteur R&D, jugé financièrement pas assez rentable. Ces quelques chiffres expliquent simplement la direction prise par la gestion capitaliste dans le privé et celle de l’État dans le public, mais aussi quels seraient des choix sociaux faits dans un cadre de services publics gérés directement par les usagers et les salariéEs de ces secteurs selon les besoins populaires. Car l’appropriation sociale ne veut pas seulement dire une intégration/réintégration dans le secteur public des services mais leur gestion exercée par les salariéEs et la définition de leurs missions conjointement avec les usagers.
Cette appropriation sociale concerne tous les domaines des services : santé, éducation, transport, énergie, logement social, notamment, en s’organisant à chaque fois au niveau territorial le plus pertinent. Mais ces exigences s’intègrent dans une remise en cause globale de la gestion de nos vies par les capitalistes. Comment accepter le contrôle des moyens d’information, des médias et des NTIC par des groupes capitalistes qui exercent désormais l’hégémonie de politiques éditoriales réactionnaires, faisant et défaisant entièrement des équipes de rédaction. L’information est un bien public, et la liberté de la presse comme l’indépendance des journalistes et des rédactions ne peuvent exister avec une mainmise qui permet une propagande quotidienne et une censure de fait par la dizaine de milliardaires (Arnault, Bouygues, Bolloré, Drahi, Lagardère, Pigasse, Niel…) et de groupes qui dirigent et contrôlent plus de la moitié de l’audiovisuel dont les principales chaînes d’info en continu. Il en va évidemment de même de la téléphonie et des réseaux.
Ces axes de lutte pour les services publics vont de pair avec toutes les luttes pour en finir avec la gestion de nos vies et de la société par les capitalistes. Ainsi, il ne peut y avoir de lutte contre les changements climatiques si on ne remet pas en cause les choix et les non-choix de production faits par les capitalistes. L’appropriation sociale, c’est donc aussi une souveraineté populaire pour la détermination des productions nuisibles face à celles qui sont utiles et nécessaires et une répartition permettant de satisfaire les besoins populaires tout en mettant un coup d’arrêt au productivisme et à la gabegie capitaliste. Cela impose évidemment en tout premier lieu la propriété publique des productions d’énergie, permettant à la fois une distribution à bas coût pour les besoins populaires et les orientations de productions correspondant aux exigences de la lutte contre les changements climatiques.