Éditions d’Amsterdam, 2024, 218 pages, 18 euros.
À qui penserait que l’écosocialisme n’est qu’un nouveau label pour une théorie actuelle, une réponse rapide à l’urgence écologique ou encore un succédané au communisme déprécié par la chute du Mur de Berlin et la fin des États soviétiques, ce livre apporte un démenti lumineux.
Michael Löwy nous rappelle que crise écologique et capitalisme sont liés, ce qu’une partie des écologistes elleux-mêmes sous-estiment, car il serait possible, selon elleux, de neutraliser les effets du système productif et extractiviste, sans rien changer. Or, et c’est la première pierre du raisonnement de Michael Löwy, il n’est pas possible de composer avec ce système capitaliste qui détruit pour produire.
Les intérêts socialistes et écologiques sont liés
La première implication politique pour celles et ceux qui aspirent à changer la société, c’est qu’on ne peut opposer les droits et les aspirations de la classe ouvrière et l’environnement naturel. Pas plus qu’il n’est possible d’opposer le socialisme et l’écologie. Voire qu’il est plus que nécessaire de penser les deux d’un même mouvement, comme l’ont fait, par exemple, André Gorz et James 0’Connor.
La deuxième implication consiste pour les marxistes à remettre en cause leur conception des forces productives pour envisager une subversion complète de l’appareil productif. Impossible de miser sur un développement neutre du capitalisme.
Répondre toutes et tous aux besoins de toutes et tous
La troisième implication politique tourne autour de l’éthique qui s’oppose au cynisme des mécanismes comptables du capital. Pour Michael Löwy, cette éthique ne peut pas être individuelle, elle est forcément sociale et forcément démocratique ; elle est autant ancrée dans le principe de responsabilité (Hans Jonas) que dans le principe d’espérance (Ernst Bloch).
Ce qui nous conduit à la quatrième implication : la planification démocratique pour organiser l’économie de façon écologique puisque « l’écosocialisme a pour objet de fournir une alternative de civilisation radicale à ce que Marx appelait “le progrès destructif” du capitalisme ». Or, la planification envisagée ici n’a rien à voir avec celle des États bureaucratiques. Elle n’est d’ailleurs pas contradictoire avec l’autogestion des travailleurEs. Elle s’appuie sur deux forces qui ne sont pas quantitatives (comme la décroissance l’est) mais qualitatives : l’expérience démocratique des mouvements sociaux et la force politique de l’utopie.
Ainsi, l’économie pourrait s’organiser pour répondre aux vrais besoins de toutes et tous. En conséquence, la publicité — véritable métalangage de la marchandise fétichisée — à la fois polluante et perverse pourrait être supprimée et libérerait du temps, de l’énergie et des forces intellectuelles.
Löwy en vient à énoncer que l’écosocialisme est une « utopie concrète », non sans un détour par les premiers utopistes, en ce sens qu’elle n’oppose pas une « image-souhait à un monde existant », mais est tournée vers « une praxis transformatrice », qui notamment débarrasse l’héritage du socialisme du productivisme.
Un corpus de références et un manifeste
À travers ces réflexions, l’auteur met au jour les fondations de la théorie écosocialiste qui sont à la fois plus nombreuses et plus ramifiées qu’il n’y paraît. Ce n’est pas la moindre des vertus du livre que de donner corps à un concept, à une théorie en nommant les penseurs et en convoquant les textes écrits il y a des décennies, parfois plus d’un siècle, qui prennent tout leur sens à l’aune de la situation actuelle. De Marx à Karl Polyani ou Max Weber, de Hans Jonas à Ernst Bloch, le livre, à partir de ce corpus, peut fonder une cohérence pour l’action.
C’est ainsi que Michael Löwy, après une mise en perspective des apports et des limites des précurseurs de l’écosocialisme que sont Marx, Engels, Walter Benjamin et André Gorz, analyse les actions exemplaires des États-Unis et en Amérique latine (ce qui démontre au passage que l’écologie n’est pas « un “luxe” pour pays développés »), avant de terminer par un manifeste, un programme d’urgence, et un plan de conduite individuelle. En quelque 200 pages, Löwy livre un manifeste complet pour penser et agir, se convaincre et persuader… d’agir en écosocialiste.
Fabienne Dolet