Texte adopté par le Conseil Politique National de mars 2015.
Le pouvoir est confronté à une crise politique profonde dont on ne voit pas comment il pourrait sortir. Face à un mécontentement croissant du monde du travail et des classes populaires mais aussi de sa propre majorité, il met en place une politique autoritaire pour imposer à marche forcée des reculs sociaux sans précédents. Le gouvernement n’hésite pas à employer la manière forte tant au niveau institutionnel (avec l’usage du 49-3 sur le projet de loi Macron) que sécuritaire et répressif : des interdictions des manifs Palestine aux condamnations tous azimuts dans la foulée des réactions au 11 janvier, répression contre celles et ceux qui se battent contre les projets inutiles, productivistes, destructeurs d’emplois et de l’environnement (Sievens , NDDL… ). Le tout est complété par une offensive idéologique de défense des idées « républicaines » à forte tonalité nationaliste, faite de rejet de l’étranger, de chasse aux « terroristes » de la maternelle à l’Université.
Hollande-Valls appliquent la tactique du « ça passe ou ça casse ». Ils brandissent la menace du FN et la crainte de la dissolution de l’Assemblée nationale pour tenter de garder une majorité bien incertaine.
La crise de l'UMP est le pendant de celle du PS. Rattrapée par les affaires de corruption, ravagée par la guerre des chefs, tiraillée entre une option de droite autoritaire autour du FN et une option plus « centriste », l'UMP est profondément fragilisée, et le « retour » de Sarkozy n’a pas eu l’effet escompté. Même si Hollande se maintient au pouvoir grâce aux institutions de la Vème République, le régime présidentiel comme le bi-partisme sont sérieusement minés.
La situation est instable, la crise profonde du PS et l'absence d'activité propre, nationale, du monde du travail, laissent le champ libre à la droite et au FN, ce dernier étant donné grand gagnant des prochaines élections départementales sur fond d’abstention. Dans ce contexte, on assiste à des événements tels que la présence du FN devant les chantiers de St Nazaire, à Béziers ou avec la constitution de milices à Sivens.
La situation est cependant ouverte, les mobilisations de ces dernières semaines sur les salaires, contre les licenciements, à la Poste, dans la santé contre la précarité, les grands projets inutiles montrent un mécontentement important. La situation peut connaître bien des rebondissements dont un sursaut du monde du travail et de la jeunesse.
Nous préparer à cette éventualité, y aider nous impose de prendre la mesure de la brusque accélération de la crise politique et des bouleversements qu’elle provoque pour formuler notre politique, nous donner les moyens de la mettre en œuvre.
Salaires
C’est dans ce contexte que nous devons considérer les mobilisations des salariéEs. Cette époque de l’année est consacrée dans beaucoup d’entreprises du privé aux Négociations Annuelles Obligatoires centrées sur les questions salariales. Et donc, traditionnellement, c’est l’occasion de luttes autour des journées de négociations sur les salaires. Très encadrées par le code du travail, ces négos enferment les mobilisations dans un temps court, avec dates programmées par l’employeur, voir des lieux excentrés rendant difficile les rassemblements.
Difficile de savoir si ces mouvements sont plus nombreux et plus durs que les années précédentes. En raison d’une inflation faible, les patrons ont tendance à proposer 0% d’augmentation générale ce qui a tendance à mettre les salariéEs en colère. Mais en même temps la morosité générale temps à avancer des revendications d’un faible niveau (quelques %, moindre présence d’augmentations uniformes combattues par de nombreux syndicats) ou à se concentrer sur des primes (maintien ou augmentation), sur l’intéressement ou la participation. Mais les longues grèves de Leroy Somer à Sanofi et la multiplication de conflits plus courts montrent une volonté de se battre sur la question des revenus (au sens large), sur des objectifs qui paraissent atteignables boite par boite. Les réactions patronales faite de refus quasi total posent la question de la solidarité voir à l’extension au niveau du groupe, à la branche, à la solidarité, géographique. Mais les appareils syndicaux ont le plus souvent renoncé à ce travail.
Licenciements
Dans le même temps il y a persistance de mobilisations contre les fermetures de sites ou les licenciements. Le plus souvent elles ont lieux le dos au mur et prennent souvent la forme de baroud d’honneur. Dans ce domaine, les luttes les plus connues (Continental, PSA Aulnay, Goodyear, Arcelor, Virgin, La Redoute, etc.) apparaissent comme des défaites même avec des formes de luttes différentes et des résultats pratiques et les leçons qui en sont tirées par celles et ceux qui ont mené ces luttes sont plus nuancées. 7 ans de travail et de salaires gagnés chez Goodyear, à peu près l’équivalent en indemnités pour une partie des salariéEs de Continental, des reclassements et des accompagnements de cessation d’activité chez PSA et Arcelor ne compensent certes pas les centaines (milliers ?) de salariéEs qui se retrouvent sans emploi, obligéEs de d’ajouter une heure ou plus de trajet, qui subissent déqualification et pertes de salaires, etc. Mais il reste aussi le souvenir des solidarités, nées dans la lutte, l’idée de s’organiser au moins syndicalement. Au-delà de ces luttes les plus visibles, des centaines de boites plus petites mais avec une signification économique, sociale localement très importante, ont fermé, réduit drastiquement leurs effectifs ce qui donne une ambiance faite de fatalisme qui n’est pas toujours synonyme de résignation.
Conditions de travail
Au-delà des ces deux grands axes de luttes, on assiste aussi à un certain nombre de mobilisation sur les questions des conditions de travail. Souvent liées à la mise en place des accords de compétitivité notamment dans l’automobile. Elles présentent l’ « avantage » de lier le cadre global des politiques gouvernementales et patronales (CICE, pacte de compétitivité, etc.) aux questions salariales (paiement des heures sup, des samedi) aux questions du temps de travail (annualisation) et aux conséquences concrètes, immédiates sur les conditions de travail).
Fonction publique
Dans la fonction publique (au sens large vu le résultat des privatisations « franches » ou rampantes au travers des embauches dans le cadre privé et/ou précaire), c’est autour des conditions de travail, des surcharges de travail, de la qualité du « service » et des suppressions de postes que se maintient depuis plusieurs mois une réelle combativité. CheminotEs, postièrEs, agents hospitaliers, salariEs de Pôle emploi, enseignantEs, se confrontent depuis des mois aux politiques de régression sociale, de baisse des budgets dans les services publics menées par le gouvernement. Les grèves à la Poste ont franchi une étape avec le succès de la grève majoritaire en Basse-Normandie, malgré la négociation bureau par bureau. La défaite face au découpage de la SNCF pèse lourdement dans ce secteur. La réforme du collège sera dans les prochains mois un élément important de la casse de l’éducation.
La politique d’accompagnement des organisations syndicales majoritaires dans ces secteurs et bénéficiant d’une implantation notablement supérieur à ce qui existe dans le secteur privé pèsent lourdement sur l’ampleur des mobilisations (Educ Nat, SNCF…). La répression, qui ne faisait pas partie des traditions, mais se développe dans ces secteurs, pèse sur les mobilisations en même temps que plus que dans d’autre secteur, le bilan tiré des grandes mobilisation sur les retraites, la protection sociale est globalement… négatif.
Invisibles ?
Enfin, il faut souligner la persistance de luttes dans des secteurs peu habitués aux mobilisations. Palaces parisiens, restauration, des entreprises du nettoyage, commerce, autant de secteurs où les salariéEs sont traditionnellement peu visibles ou peu vus et où les traditions de luttes sont faibles. Les mobilisations des sans papiers des années précédentes, la réelle combativité de structures syndicales (voir intersyndicales) dans le commerce fournissent probablement des éléments d’explication qui viennent s’ajouter à ma réalité de salaires et de conditions de travail et de salaires particulièrement dramatiques. Faible syndicalisation (mais parfois aussi syndicalisme mafieux), présence importante d’immigréEs, de femmes doivent compléter ces remarques. Le faible impact économique de ces mobilisations n’est pas contradictoire avec une visibilité sociale voir médiatique qui peut « donner envie » à d’autres secteurs.
Reste le point noir que constitue la quasi disparition des mobilisations des chômeurSEs, dans un contexte où le chômage ne cesse de croître, de s’ancrer dans la durée et d’engendrer misère, renoncement social avec un renforcement du fatalisme politique qui peut mener à l’extrême-droite.
Stratégie syndicale
L’enjeu est de réussir à passer de ces mobilisations dispersées, éclatées voir isolées, à la construction d’un rapport de forces plus global autour d'enjeux nationaux. Cet objectif semble souvent inatteignable à une majorité de salariéEs. Les échecs répétés des mobilisations massives sur le Sécu, sur les retraites, développent un certain fatalisme, une certaine résignation. D’autant plus que, si la CFDT, la CFTC et la CGC affichent clairement leur soutien au gouvernement, la CGT, FO, la FSU et Solidaires semblent, au mieux en panne de stratégie, au pire accompagnant la résignation et refusant de combattre. L’appel à la grève dans la FSU n’a d’ailleurs été obtenu que sous la pression des équipes syndicales contre la direction. Même si ces 4 dernières appellent à la grève et à la manifestation du 9 avril, cet appel intersyndical n’est pas centré contre la loi emblématique du gouvernement, la loi Macron et au-delà ne se veut pas une étape à la construction d’un véritable affrontement à la politique gouvernementale.
Pour la « nouvelle » direction de la CGT, la réussite du 9 avril est un point de passage obligé de sa consolidation. , c Comme pour les structures qui se sont opposées à Lepaon en mêlant le plus souvent critiques sur le fonctionnement et sur une orientation basée sur le dialogue social, il s’agit de donner l’impression qu’il y a un changement d’orientation au sein de la confédération.
L’offensive globale mise en œuvre par le gouvernement, qui va des accords de compétitivité à la loi Macron avec ses prolongements prévus sur les Instances représentatives du personnel et le temps de travail, ne va pas se relâcher. D’ores et déjà sont en préparation une nouvelle réforme du dialogue social et une attaque sur le CDI.
Et nous nous trouvons en face de plusieurs difficultés pour construire une/des mobilisations à la hauteur de ces enjeux.
Ces attaques ont peu de conséquences directes, immédiatement perceptibles sur la vie quotidienne, notamment sur les lieux de travail de la majorité des salariéEs. Les mesures prises sont perçues comme concernant davantage les spécialistes de la représentation des salariéEs (syndicats, IRP) que les salariéEs eux-mêmes. Dans un contexte où les protections collectives sont perçues comme peu « protectrices » (PSE, licenciements individuels, etc.) et amènent les salariéEs à des solutions plus individuelles (« chèques », ruptures conventionnelles, prud’hommes).
Notre intervention
Dans cette situation, nous voulons rassembler celles et ceux qui s’opposent à l’austérité, à la destruction des services publics, des droits sociaux et des droits des femmes et des LGBTI, qui s'opposent aux grands projets inutiles, imposés et destructeurs, unir les résistances, les faire converger pour faire céder le gouvernement et le patronat. Pour cela, il y a besoin à la fois de construire des luttes actives donc auto-organisées et de rassembler toutes celles et tous ceux qui veulent s’opposer, à gauche, à la politique du gouvernement, sur des objectifs et des revendications concrètes.
Il est impossible de dire quel sera le facteur déclenchant, celui qui sera perçu comme l'affront de trop tant le gouvernement et le patronat multiplient les attaques, mais le NPA doit apparaître comme l’aile marchante de la résistance au gouvernement PS-Medef, d’où la nécessité fondamentale d’une politique unitaire, d’une politique aidant et développant les mobilisations. C’est avec cet objectif que le NPA participera au meeting unitaire du collectif 3A contre la loi Macron qui aura lieu le 7 avril. Malgré ses limites, le collectif 3A, en alliant organisations politiques, associations et certaines structures syndicales, joue un rôle utile dans la construction de contre-offensives face au gouvernement.
1) Notre intervention sur les lieux de travail reste centrée sur la construction de résistances quotidienne, immédiate, au plus près des résistances « spontanées » de nos collègues de travail. Mais dans ce contexte particulier nous devons tout faire pour combler le fossé entre les ressorts des mobilisations actuelles et la nécessité de s’opposer aux mesures plus globales mises en œuvre par le gouvernement. Passer de la lutte contre les conséquences concrètes que sont l’aggravation des conditions de travail, le blocage des salaires le tout sans impact « positif » sur le chômage, alibi politiques antisociales, à un combat général contre les politiques d’austérité, le gouvernement et le patronat.
2) Une journée interprofessionnelle de grève et de manifestation aura lieu le 9 avril prochain. Même tardive, cette date de mobilisations doit être une réussite et doit s’inscrire dans un plan visant à construire une mobilisation d'ensemble en fédérant les secteurs, organisations politiques, syndicales, associatives qui se donnent comme objectif de s’affronter à ce gouvernement. Dans les semaines qui viennent nous devons tenter d’inscrire le 9 avril dans le cadre de toutes les mobilisations actuelles dans et en dehors des entreprises, quel que soit leur objet immédiat. Nous devons tout faire pour que cette manifestation soit une journée de grève contre le gouvernement et contribue à encourager les luttes et leur convergence. Nous devons travailler à des manifestations le plus près possible des mobilisations et à des assemblées générales de grévistes.
3) Dans cette situation, face à la crise politique et institutionnelle, le gouvernement essaie de se renforcer en intégrant une partie d’EELV et des frondeurs. Le Front de gauche tente de son côté de constituer une « majorité alternative » avec l’autre partie d’EELV et Nouvelle Donne.
Nous nous situons en opposition au gouvernement et à sa politique loin de tout replâtrage institutionnel et manœuvre parlementaire. Nous défendons les intérêts du monde du travail, des classes populaires, autour d’exigences démocratiques, économiques et sociales de rupture avec les traités et les institutions européennes et avec les institutions ici comme au niveau européen.
La mise en avant de notre programme de rupture anticapitaliste est indispensable pour donner un contenu, une perspective politique aux luttes, construire un rapport de force pour sortir de la régression sociale. La crise politique et sociale rend aujourd’hui crédible l’arrivée de Le Pen au pouvoir. Face à ce danger, notre réponse ne se limite pas à la construction des seules luttes. Il s’agit de combiner la nécessité d’un mouvement d’ensemble du monde du travail contre le gouvernement, et la perspective d’un gouvernement anticapitaliste, appliquant un programme de rupture sociale, écologique et démocratique avec le système, porté par la mobilisation et l'auto-organisation des exploitéEs et des opprimés.