Publié le Mercredi 31 mars 2021 à 11h59.

La violence de la réforme de l’assurance chômage

Le système français [d’assurance chômage] est d’une très grande complexité. Il suffit de consulter la documentation de l’Unédic pour comprendre qu’il est plus facile d’établir la feuille de paie d’un salarié que le montant de l’allocation d’un chômeur. Le diable est donc dans les détails.

Le premier volet de la réforme consiste à modifier le mode de calcul du salaire journalier de référence (SJR) qui détermine le montant des allocations. Jusque-là, ce calcul était fondé sur le salaire annuel perçu par un salarié lors de ses périodes d’emploi : on divisait les rémunérations perçues les douze derniers mois par le nombre de jours travaillés sur cette période. Le nouveau calcul consiste à prendre en compte les rémunérations perçues sur deux ans – et non plus un an – et à les diviser par le nombre de jours travaillés auquel on ajoute désormais les jours chômés. « Le résultat est "mathématique" : en comptabilisant les périodes non travaillées – et en remontant plus loin dans le passé professionnel – la moyenne s’effondre. Le SJR est plus bas. Et avec lui, les allocations chômage »1.

Jusqu’à 43 % de baisse

Dans sa version initiale, le projet prévoyait même de prendre en compte l’intégralité des périodes non travaillées, ce qui aurait conduit à diviser par quatre les allocations dans les cas les plus défavorables. Le Conseil d’État a censuré cette clause par une décision du 25 novembre 2020, constatant que le montant du salaire journalier de référence pourrait « varier du simple au quadruple en fonction de la répartition des périodes d’emploi au cours de la période de référence », ce qui entraînerait « une différence de traitement manifestement disproportionnée au regard du motif d’intérêt général poursuivi ». Dans sa version actuelle la baisse ne pourra pas dépasser 43 %.

La cible visée par cette mesure est la pratique imputée à certains salariés consistant à alterner contrats courts – leur permettant de « recharger » leurs droits – et périodes de chômage indemnisés. Le patronat et ses économistes affiliés dénonçaient depuis longtemps le « scandale de l’optimisation des chômeurs ». Muriel Pénicaud, alors ministre du Travail, avait même déclaré, lors d’un débat parlementaire, que l’on peut « rester indéfiniment au chômage en travaillant un jour sur deux » et finalement gagner plus en étant chômeur qu’en travaillant. Outre le fait que ce constat est mensonger2, le véritable scandale est que cette pratique est le plus souvent mise en place à l’initiative de l’employeur qui y voit l’instrument d’une gestion fine de ses effectifs.

Les précaires sont les plus exposés

La deuxième modalité de la réforme porte sur les conditions à remplir pour avoir droit à une indemnisation. Jusque-là, il fallait avoir cotisé quatre mois au cours des 28 derniers mois. Avec la réforme il faudra avoir cotisé plus longtemps (six mois) et sur une période plus courte (24 mois). Le gouvernement fait valoir qu’en contrepartie les chômeurs seront indemnisés plus longtemps. Cependant les auteurs d’une remarquable étude sur l’histoire de l’assurance chômage depuis 60 ans observent à l’aide d’un simulateur que « cette meilleure couverture dans la durée est très loin de compenser l’effondrement des montants perçus, contrairement à ce que le gouvernement avançait »3. Ils en viennent à se demander si l’assurance chômage est « encore une assurance chômage pour les salariés à l’emploi discontinu ». On voit qu’en dépit de leur caractère apparemment secondaire l’impact sera particulièrement violent dans la période actuelle où ce sont justement les précaires qui ont été le plus exposés à la privation d’emploi.

Le troisième volet de la réforme introduit la dégressivité des indemnités des chômeurs qui avaient les salaires les plus élevés : elles devraient baisser de 30 % au bout du septième mois. Mais cette mesure a été suspendue pour l’instant.

La sinistre équation de la réforme

Une étude d’impact de la version initiale de la réforme a été menée par l’Unédic. Elle estime à 2,24 millions le nombre d’entrants à l’assurance chômage durant la première année de la réforme. 37 % d’entre eux, soit 840 000 allocataires seraient impactés4. Les baisses d’allocation liées à la réforme iraient de 7 % à 50 % selon la trajectoire passée de l’allocataire (son « rythme de travail »), la perte moyenne étant évaluée à 24 %.

Cette réforme est d’autant plus pernicieuse qu’elle intervient dans un contexte de crise et de pertes d’emplois. Le choc de la pandémie a évidemment conduit à un déficit aggravé de l’Unédic : ses recettes ont baissé avec la masse salariale sur laquelle elles sont calculées et avec le moratoire sur les cotisations des entreprises les plus en difficulté. Quant aux dépenses, elles ont évidemment augmenté avec le nombre de personnes indemnisées, mais aussi parce que l’allocation d’activité partielle versée aux employeurs (autrement dit la prise en charge des salariés en chômage partiel) est à la charge, pour un tiers, de l’assurance chômage.

Les dépenses devraient atteindre 38,4 milliards d’euros en 2021, mais la réforme devrait permettre d’économiser un milliard. Autrement dit, on va réduire de moins de 3 % les dépenses de l’assurance chômage grâce à une réforme qui va dégrader la situation de 37 % des chômeurs. Telle est, en fin de compte, la sinistre équation de cette réforme.

Version intégrale sur alencontre.org, sous le titre « Réforme de l’assurance chômage en France : la violence sociale par décret »

  • 1. Cécile Hautefeuille, « La réforme de l’assurance-chômage donne la priorité à la baisse des allocations », Mediapart, 19 février 2021.
  • 2. Henri Sterdyniak, « Peut-on gagner plus en étant chômeur qu’en travaillant ? », Mediapart, 10 mars 2019.
  • 3. Mathieu Grégoire, Claire Vivès, Jérôme Deyris, Quelle évolution des droits à l’assurance chômage ? 1979-2020, IRES, mai 2020.
  • 4. Selon une nouvelle note de l’Unédic, ce sont en réalité 1,15 million de demandeurs d’emploi qui pourraient voir leur allocation chômage diminuer avec la réforme (NDLR).