Publié le Mercredi 20 janvier 2021 à 10h34.

Vers une deuxième vague de chômage ?

Quitte à se faire l’avocat du diable, il faut commencer par ce constat : la première vague du chômage a été relativement contenue dans la zone euro.

Relativement, cela veut dire que l’emploi a nettement moins baissé que l’activité économique (le PIB) et surtout que le nombre total d’heures travaillées. Et qu’en outre, le chômage a été contenu par l’augmentation du nombre de ceux qui ont dû renoncer à chercher du travail.

L’ampleur du choc

Quelques calculs (forcément approximatifs compte tenu de la fragilité des données) conduisent à des évaluations qui donnent le tournis. Entre 2019 et 2020, le nombre total d’heures de travail aurait baissé d’environ 12 % dans la zone euro, soit d’environ 35 milliards d’heures. Or, c’est à peu près le nombre d’heures de travail effectuées en Espagne en 2019. Mais l’emploi n’aura baissé « que de » 4 millions, soit d’environ 2 ou 3 %, alors que l’activité économique (le PIB) a baissé de 8 %. Si l’on rapproche ces deux chiffres, on découvre que la durée moyenne de travail aurait baissé de l’ordre de 10 %, passant de 1 800 à 1 630 heures annuelles. C’est le résultat du recours massif aux dispositifs de maintien de l’emploi sous forme de chômage partiel et de chômage technique. Autrement dit, cette réduction du temps de travail « défensive » a permis d’éponger en partie le choc. C’est un point important à ne pas oublier.

Du côté du chômage, sa progression a pour l’instant été modérée : le taux de chômage n’a augmenté que de 1,2 point dans la zone euro entre février et octobre 2020. Pourtant les destructions d’emplois ont été importantes : le nombre de personnes employées était inférieur de 5,2 millions au ­deuxième trimestre 2020 par ­rapport à celui de fin 2019, soit une baisse de 3,2 %.

Comment expliquer que l’on ait à la fois une chute significative de l’emploi et une hausse modérée du chômage ? La raison en est donnée par une étude de la Banque centrale européenne (BCE)1, dont sont tirées les données utilisées ici : « La population active a baissé d’environ cinq millions de personnes au premier semestre 2020 ». Autrement dit, une proportion importante de candidats à l’emploi a renoncé à en chercher un, pour diverses raisons liées à la crise sanitaire.

Sombres prévisions

Selon la Commission européenne, le chômage dans la zone euro augmenterait de 1,9 million en 2021, après 1,4 en 2020, portant le nombre de chômeurEs à près de 16 millions, et cela malgré une reprise de la croissance estimée à 4 %. Dans le cas de la France, les estimations convergent pour dire que 800 à 900 000 emplois ont été détruits en 2020. En revanche, les prévisions pour 2021 ne font pas consensus : 435 000 emplois créés selon le gouvernement dans son projet de budget, mais à peu près zéro pour la Banque de France et l’OFCE2. Le taux de chômage devrait donc continuer à augmenter selon l’OFCE, pour atteindre 10,6 % à la fin de 20213.

Les cicatrices de la crise

Ces prévisions sont très aléatoires car elles dépendent de paramètres sur lesquels pèse la plus grande incertitude. Il y a d’abord l’évolution globale de la pandémie : le rythme de sa diffusion (ou de son extinction progressive) imprime un profil spécifique aux évolutions économiques. De plus, tout le monde n’a pas été frappé de la même manière, ce qui veut dire que les cicatrices de la crise ne disparaîtront pas toutes, ou en tout cas pas à la même vitesse. On peut ici les évoquer rapidement : il y a les précaires, les étudiantEs et les jeunes en général, les secteurs particulièrement frappés (restauration, culture, aéronautique, secteur associatif) et menacés de faillites. À propos des étudiantEs, la revue du FMI a publié un article au titre révélateur : « L’ombre permanente d’un démarrage malheureux »4. Au plan macroéconomique, la même « ombre permanente » pèse sur les différents éléments de la demande : les consommateurEs (ou plutôt les 20 % les plus riches) vont-ils dépenser leur « épargne forcée » ? Les entreprises vont-elles investir ? Les exportations vont-elles reprendre ?

Retour de bâton

Il serait donc naïf de penser qu’un éventuel redémarrage pourrait ramener à la situation d’avant-crise. Ou encore de penser que les « jours d’après » corrigeront spontanément les tares du système. Car les classes dominantes restent en embuscade et fourbissent déjà leur riposte. Certes, leurs intérêts ont été bien défendus, mais leur situation a été compromise et leur objectif sera de rétablir la profitabilité. Pour y arriver, l’un des moyens est de raboter la masse salariale, en rognant sur les salaires et sur l’emploi. Certains évoquent la nécessité d’éliminer les canards boiteux, baptisés « entreprises zombies », d’autres envisagent l’automatisation pour améliorer leur productivité, ou l’extension du télétravail.
Cette volonté de récupérer le temps perdu et de profiter de l’occasion est déjà illustrée par la mise en place de plans sociaux ou le durcissement maintenu de l’­indemnisation du chômage.

Une enquête de l’Unédic5 relève que « les salariés comme les demandeurs d’emploi se disent prêts à des concessions pour se donner de meilleures chances de voir leur projet professionnel aboutir ». Ce qu’un directeur d’agence de Pôle emploi (paraphrasant Marx) traduit ainsi : « à cause de la crise, il y a davantage de main-d’œuvre disponible. Les employeurs peuvent se permettre de rester exigeants. Voire de l’être davantage »6.

Tous ces projets ne relèvent d’ailleurs pas de lois économiques mais des rapports de force sociaux, et c’est pourquoi il faut se préparer à un brutal retour de bâton social et politique. Plutôt que de s’écharper sur l’éventuelle annulation de la dette publique détenue par la BCE et la théorie monétaire, sans doute est-il plus urgent de remettre au premier plan une thématique de défense et de transformation sociale autour de deux idées. La première est celle de la réduction du temps de travail, puisqu’elle a permis de réduire l’ampleur du choc.

La seconde est celle d’une garantie de l’emploi. C’est en tout cas sur ces questions vitales que porteront les conflits sociaux à venir.