Le 18 juin 1973, les ouvrierEs de Lip remettent en marche une chaîne d’assemblage de montres1, afin de les vendre pour assurer les salaires des grévistes. S’iels disent que c’est de l’autodéfense, pas de l’autogestion, cette action est plus qu’une modalité de lutte, elle se situe dans la perspective de la prise en main par celles et ceux qui travaillent, de leur outil de travail et de leur destin.
La lutte engagée depuis le dépôt de bilan du 17 avril a commencé par une baisse des cadences de production : un mois après le début, la production des services « mécanique et usinage série » est pratiquement nulle, celle de « l’horlogerie » ne sort que 50 % des pièces. Les actions s’enchaînent : une visite au château du député de droite, des manifestations.
Le 12 juin, lors d’une réunion du CE, les administrateurs sont séquestrés, et les ouvrierEs découvrent dans les bureaux et les serviettes des documents prouvant que la discussion entre la direction et l’État est une restructuration accompagnée de licenciements. Les CRS interviennent pour libérer les séquestrés, des affrontements ont lieu devant l’usine. En réponse, dans la nuit, les Lip évacuent et dissimulent le stock de montres terminées, d’une valeur d’un demi-milliard de francs et le lendemain l’occupation est votée à l’unanimité.
La solidarité, le dynamisme et l’imagination des Lip viennent de loin
Ce fleuron de l’horlogerie de qualité appartient depuis 1967 au groupe suisse Ébauches-SA qui l’a transformé en simple usine d’assemblage de pièces. Depuis une quinzaine d’années a mûri dans l’usine un syndicalisme de combat très particulier, basé sur une bonne entente entre la CFTC et la CGT, puis, après la déconfessionnalisation de la CFTC en 1964, entre la CFDT et la CGT, et sur un collectif militant CFTC puis CFDT centré sur la constitution du collectif des travailleurs et travailleuses en force unie. Le travail syndical cherche à ne pas reproduire la coupure des sachants-dirigeants avec les Lip, mais à développer l’apprentissage du débat constructif, en encourageant l’expression de toutEs.
Iels promeuvent le « 90/10 », 90 % d’énergie, de temps, d’intelligence à construire cette force unie des salariéEs et 10 % pour les rapports avec la direction, le syndicat, les dossiers, etc., ainsi que la constitution d’un réseau de correspondantEs dans toute l’usine, qui diffuse une information régulière de qualité, ce qui met tout le monde à égalité de réflexion.
Dans chaque conflit, notamment en 1968, iels encouragent à la réflexion en AG ou en cercles. Comme le dit Charles Piaget, un des animateurs — le plus connu — de cette équipe militante : « Il faut du temps, mais lors du cheminement, les salariéEs se transforment profondément. Ils et elles prennent de plus en plus la lutte en charge. 1973 a été l’aboutissement ce mode de fonctionnement, jusqu’à la prise en charge de la lutte, de toute la lutte ». 2
Le 18 juin 1973, les ouvrierEs de Lip remettent en marche une chaîne d’assemblage de montres 1, afin de les vendre pour assurer les salaires des grévistes. S’iels disent que c’est de l’autodéfense, pas de l’autogestion, cette action est plus qu’une modalité de lutte, elle se situe dans la perspective de la prise en main par celles et ceux qui travaillent, de leur outil de travail et de leur destin.
Le 20 avril 1973 est créé un comité d’action regroupant des syndiquéEs et non syndiquéEs pour renforcer l’activité des militants syndicaux CGT et CFDT, qui jouera avec l’équipe CFDT un rôle moteur dans la lutte. Toutes ces pratiques permettent des débats et une démocratie des AG qui donneront sa force au mouvement.
La grève des Lip devient un enjeu national
Grâce à la vente des montres dans les réseaux militants dans toute la France, la première paie ouvrière est versée le 2 août. Le 14, l’usine est occupée par les CRS. Cela n’empêche pas la vente des montres et les paies ouvrières : il y en aura six jusqu’en décembre. Le 29 septembre, une marche sur Besançon en soutien aux Lip regroupe 100 000 manifestantEs, les secteurs militants radicaux, la gauche de la CFDT car les directions syndicales voulaient se contenter d’une manifestation régionale.
Les négociations avec l’envoyé du gouvernement durent des semaines, un premier plan actant le départ de 160 salariéEs sur 800 est refusé en octobre. Il faut attendre le 30 janvier 1974 pour trouver un accord permettant la reprise de toutEs les Lip dans une nouvelle société, qui vivra deux ans.
Cette lutte auto-organisée des Lip, basée sur la totale implication de tous et toutes, est toujours une référence riche d’enseignements pour toute perspective émancipatrice de transformation sociale.