L’aviation s’est développée pendant la Première Guerre mondiale pour le renseignement, les communications et les bombardements. Les premières lignes commerciales se sont développées avec l’aéropostale dans les années 30...
La Seconde Guerre mondiale a accéléré le processus et à sa sortie a laissé des milliers de pilotes et mécaniciens formés ainsi qu’une industrie aéronautique massive. Les premières lignes aériennes se substituent alors aux lignes maritimes. D’où les galons à bord, du commandant au steward…
Ouverture de la clientèle
Au départ, ces lignes étaient réservées aux très riches, vedettes ou hommes d’affaires, champagne et caviar à bord. Le slogan d’Air France est « l’avion des stars » ! Mais ce développement est aussi marqué par le tragique : mort en vol de Mermoz (qui avait de fortes sympathies pour l’extrême droite), mort de Saint-Exupéry, mort de Marcel Cerdan en 1949 en route pour rejoindre Édith Piaf...
Les différentes compagnies sont chacune liées à un pays et sont l’outil diplomatique de celui-ci. Aujourd’hui encore, le réseau Air France correspond à la sphère d’influence de l’impérialisme français. La fin de l’isolation de l’Iran ? Air France rouvre donc sa ligne sur Téhéran !
Dans les années 1970, on assiste à une massification du transport aérien symbolisé par le Boeing B747 surnommé « jumbo jet », l’avion éléphant. Liée au besoin massif de main-d’œuvre, on fait venir massivement des Antillais avec le Bumidom (Bureau migration des DOM), Antillais auxquels on octroiera un billet d’avion tous les deux ans. De même en provenance du Maghreb avec les recrutements pour l’automobile.
C’est un mix première, classe affaires et classe vacances à bord des avions. Au sol, tout le personnel est Air France, du balayeur dans le hangar au manutentionnaire qui aide à fabriquer les repas.
Grandes compagnies et low cost, le partage du gâteau
Dans les années 90, le modèle change, lié à la mondialisation. Les petits pays n’ont plus les moyens d’avoir leur compagnie nationale (fin de Sabena, Olympic Airways, Iberia… et même Pan Am et TWA). Ce ne sont plus les États qui financent mais les capitaux privés. C’est le moment des concentrations et des grandes alliances, mais pas seulement : d’un côté, de grandes compagnies internationales appuyées sur un réseau puissant, et de l’autre, le développement de compagnies low cost (bas coût).
Le low cost opère dans un espace commun sans accords diplomatiques (USA, Europe, Chine). C’est un modèle d’ultra-libéralisme : basé dans des paradis fiscaux, une main-d’œuvre sous-payée et précaire, sur de petites distances, avec un grand nombre d’avions du même modèle pour réduire les coûts d’entretien, mais aussi des subventions des régions (par nos impôts) en échange de leur desserte. Et avec un service minimum, parfois proche de la maltraitance s’il y a un souci. Tout service supplémentaire y est payant.
Sur les longs courriers, un tel modèle n’est (pour l’instant) pas transposable : il y a les accords diplomatiques, la sécurité au-dessus des océans, les services à bord pour des vols de 10 heures, etc. Avec le contrôle de Paris, Air France occupe une position stratégique. En 2015, 95 millions de passagers ont été accueillis à Roissy et Orly. Roissy c’est près de 100 000 salariéEs, Orly 40 000...
On a ainsi un partage du marché, les lignes transversales étant laissées au low cost qui ne vient pas affronter Air France sur Paris. Mais cette dernière développe aussi son propre low cost avec les compagnies Transavia et Hop, cela afin de garder le contrôle d’Orly.
Les compagnies du Golfe reprennent ce modèle, avec un pétrole moins cher et de fortes subventions étatiques, mais ne sont compétitives face aux majors européennes que sur l’Asie. Et la baisse du pétrole vient aujourd’hui menacer cet avantage.
De leur côté, les très riches ne prennent plus la première : ils ont leur propre avion, et leur aéroport au Bourget. On part quand on veut, pas de files d’attente, pas de contrôles humiliants, peu de fouilles. Cela avec le risque que le même avion serve un jour à Sarkozy et un autre jour à transporter de la coke (affaire « Air cocaïne »...), les deux étant tout aussi toxiques !
L’intox Air France
Actuellement, les constructeurs, les aéroports, gagnent beaucoup d’argent. Les compagnies aériennes sont, elles, en retard avec seulement 5 % de profits en moyenne. Air France se fixe un objectif de 10 %, d’où les plans qui se succèdent... et les résistances des personnels.
En 2011, de Juniac est arrivé en développant toute une intox sur le thème « Air France est en danger ». Une intox relayée par tous les syndicats sauf SUD Aérien, avec l’accompagnement de fameux cabinets conseils Secafi, Progexa... et de toute la presse.
De Juniac a fait signer par la plupart des syndicats les accords Transform, entérinant blocage des salaires, pertes de l’ancienneté (moins 10 % dans les 10 ans), jours de repos en moins, semaines passant de 32 à 35 heures pour les salariéEs en horaire 3 × 8, et plusieurs plans de départs volontaires de milliers de salariéEs. Au cargo (fret), la moitié des effectifs est partie. C’est de ce secteur que sont venus le 5 octobre 2015 les salariéEs, à l’assaut du DRH quand celui-ci a voulu se débiner...
La politique de sous-traitance, qui concernait au départ le travail peu qualifié, s’est étendue ensuite à tous les métiers pour peser sur les salariéEs. Sous-traitance d’une partie des visites lourdes des A320 dans une filiale commune avec la Royal Air Maroc, visites des derniers B747 en Chine, service client dans la filiale française Bluelink, centres d’appels au Maroc, en Europe de l’Est… ou à Strasbourg pour pouvoir travailler le dimanche !
Air France poursuit donc son expansion, avec une nouvelle aérogare en construction sur Orly. Mais la direction cherche à contourner la résistance des personnels en faisant passer la croissance par l’extérieur : sièges achetés sur d’autres compagnies (quitte à prendre des risques, ainsi l’avion de la Malaysian abattu au-dessus de l’Ukraine transportait des passagers qui avaient un billet Air France-KLM...) ; développement de Hop qui reprend une partie des lignes intérieures (et peut-être demain le personnel sur le réseau intérieur) ; développement de Transavia sur l’Europe et le Maghreb. Et le démantèlement de l’entreprise continue, avec la vente de sa filiale de préparation des repas Servair au groupe chinois HNA.
Air France gagne de l’argent. Avec la baisse de moitié du prix du pétrole (qui coûte un tiers du billet) et le maintien des ventes, le discours de sacrifice adressé aux salariéEs ne marche plus. D’où la colère des salariés face au nouveau plan Perform présenté à l’automne 2015 et la « chemise arrachée » qui a fait plaisir à la France entière, enfin celle qui se lève tôt ! D’où aussi la constitution (jamais vue dans l’histoire) d’une intersyndicale regroupant tous les syndicats de pilotes, hôtesses et stewards, et pour le sol regroupant CGT, FO et SUD Aérien.
Syndicalisme : état des lieux
En avril 2015, les dernières élections syndicales ont vu le personnel se regrouper derrière ses métiers, votant massivement pour les syndicats corporatistes chez les navigants. Sur les escales de Roissy, le vote s’est partagé entre CGT et FO ; à Orly, CGT et SUD. Sur les escales du sud de la France, en particulier Marseille et la Corse, c’est la CGT qui domine, comme au cargo. L’informatique vote CFDT et le siège et le commercial votent CGC et CFDT. Les cadres ont, eux, massivement voté CGC.
À l’industriel (8 500 salariéEs), Sud Aérien est passé en tête, s’emparant du comité d’établissement en alliance avec le syndicat corporatiste des mécaniciens avion Snmsac/Unsa. Appuyé sur cette place forte, il met en crise le fonctionnement clientéliste et la perte de tout sens du CCE (le comité central d’entreprise) géré par la CGT. Mal géré depuis des années, ce CCE est au bord du gouffre financier, et a perdu son sens d’éducation populaire et de construction de solidarité, au profit d’une gestion clientéliste. Il est en crise et proche de l’éclatement.
Sud Aérien veut être porteur d’un projet de refondation du CCE. Les mois qui viennent seront décisifs sur l’avenir de cette bataille, qui va de pair avec les nouveaux liens créés dans l’intersyndicale.
La CGT est prise dans de multiples contradictions. D’abord une gestion collaborative du CCE, avec aussi son secrétaire qui condamne les prétendues agresseurs de l’affaire de la chemise et même plaint la direction le soir même à la télévision. Cela alors que ce sont bien des militants CGT du cargo qui étaient en première ligne... Puis virage les jours suivants, en particulier sous la pression de la Confédération qui y voit une opportunité de restaurer son image… Mais avec le départ du PDG de Juniac et l’arrivée de Janaillac, bon copain de Hollande et de la promotion Voltaire à l’ENA, les contorsions reprennent : on a ainsi vu la CGT « soutenir mais ne pas appeler à la grève » très suivie des hôtesses et stewards fin juillet… tout en affichant un discours radical, mais sans organiser à l’intérieur de l’entreprise une campagne de solidarité avec les licenciés de l’affaire de la chemise.
FO, après avoir signé en 2012 les pertes salariales, a perdu du crédit et entame un virage à gauche et un retour à un syndicalisme de terrain. La CGC et la CFDT maintiennent leur soutien à la direction, mais avec de plus en plus de difficultés. Et l’Unsa navigue à vue…
Contre la répression, pour un statut commun
Pour l’instant, la direction a lâché du lest et une prime d’environ 1 200 euros d’intéressement en 2016. Elle a reporté, d’abord à octobre et maintenant à février 2017, ses attaques suite aux deux grèves très suivies, des pilotes en juin et des hôtesses et stewards fin juillet. Tout le monde a compris que Janaillac est là pour arriver jusqu’à l’élection présidentielle sans conflit social majeur. Mais les salariéEs sont mécontents, les fins de mois sont de plus en plus difficiles après cinq ans de blocage des salaires dans un groupe qui gagne beaucoup d’argent. Alors, pourquoi attendre ? L’intersyndicale l’a bien compris, ce n’est qu’un début !
La prochaine échéance est le procès des 15 salariés du cargo, dont cinq sont déjà licenciés. Et l’intersyndicale de déclarer : « gouvernement français et direction d’Air France main dans la main pour licencier ». Les revendications sont donc la réintégration des licenciés, l’augmentation de la flotte Air France, l’arrêt de la politique de sous-traitance, l’augmentation des salaires.
L’enjeu est bien de construire un mouvement où se retrouvent tous les métiers, salariéEs d’Air France comme celles et ceux des entreprises sous-traitantes. Pour le retour à un statut commun dans l’aérien.
Jet Aelys