Publié le Samedi 20 novembre 2021 à 19h00.

Penser ensemble le genre, la classe et la race : le cas du travail reproductif

La vie sous le capitalisme mêle indissociablement exploitation économique, racisme et sexisme. Ces dominations s’intriquent, se renforcent les unes les autres, et, à mesure des évolutions de la société, se renouvellent et se réinventent.

Le sexisme visant les femmes musulmanes en France, marqué notamment par l’injonction à se dévoiler, s’inscrit dans une longue histoire coloniale d’impérialisme, d’exploitation des personnes issues de l’immigration sur le territoire français et d’idéologie raciste. On ne peut ni comprendre ni lutter contre cette forme spécifique du sexisme si on oblitère ses dimensions raciste et de classe.

S’il est souvent très difficile, voire impossible, d’isoler ce qui dans un acte sexiste individuel relève précisément de la race, de la classe et du genre, nous pouvons identifier des dynamiques existant à l’échelle de la société, et qui permettent de tracer les grandes lignes de nos combats féministes. Parmi celles-ci, la crise économique en cours est particulièrement saillante. Elle accélère la précarisation et l’exploitation des femmes au travail (en particulier dans le secteur du travail dit « reproductif » où elles sont majoritaires) et, en fragilisant l’autonomie des femmes, les expose à de plus grandes violences, tant sur le lieu de travail que dans leur vie privée.

Entre destruction des services publics et essor d’un secteur surexploité

Une des grandes réponses des gouvernements aux crises économiques des dernières décennies a été l’instauration de ce qu’on appelle le néolibéralisme, qui se caractérise notamment par la destruction continue et méthodique des conquis du mouvement ouvrier du 20e siècle tels que les services publics, les protections salariales et la sécurité sociale. Or, ces conquêtes ont fait le lit du féminisme contemporain : les services publics assurant une partie du travail reproductif comme la prise en charge des enfants ou le soin aux personnes malades ou âgées, libèrent du temps pour les femmes – leur permettant notamment d’accéder au marché du travail.

L’affaiblissement des services publics a alors deux grands effets : d’abord, reporter sur les femmes la prise en charge de ce travail, elles se retrouvent ainsi à assumer des journées de double-travail de plus en plus lourdes. Ensuite, la création d’un vaste marché pour les entreprises privées : ce que le service public n’assume plus, le capitalisme l’accapare pour générer du profit.

Le secteur du travail reproductif, où les femmes sont majoritaires du fait de la division sexiste du travail (« la femme » conçue comme attentive et douce est assignée au travail de soin) est ainsi pris en étau. 

D’un côté, son exercice dans les services publics, comme les écoles et les hôpitaux (assistantes maternelles, aides-soignantes, infirmières, etc.) est en constante dégradation du fait de la réduction drastique des moyens alloués par l’État.

De l’autre, la création de ces nouveaux secteurs d’emplois, en pleine expansion, a lieu dans le cadre actuel d’un rapport défavorable entre les organisations de travailleurEs et les entreprises privées. Les travailleuses du soin occupent ainsi très souvent des emplois très peu protégés : contrats courts, ubérisés ou en auto-entreprenariat et avec un taux d’exploitation très important : horaires à rallonge, compétences non reconnues, etc.

Ces emplois, parce que très peu attractifs, sont ainsi majoritairement occupés par les femmes les plus pauvres, dont pour de très nombreux secteurs comme le travail de ménage, par des femmes issues de l’immigration ou migrantes de première génération.

Vivacité des luttes des travailleuses du soin

On comprend mieux, à la lumière de ces dynamiques, que ces secteurs soient aujourd’hui parmi les plus combatifs, de l’hôpital aux travailleuses du nettoyage, et qu’ils mobilisent des travailleuses issues de l’immigration dénonçant autant leurs conditions de travail indignes, que le racisme et le sexisme qu’elles subissent sur leur lieu de travail, comme ce fut le cas pour les travailleuses en grève de l’hôtel Ibis Batignolles.

À l’image de ces luttes, notre féminisme ne peut être qu’un féminisme de classe et anti-raciste, refusant de céder le moindre terrain aux réactionnaires et aux capitalistes.