Le mouvement féministe fait aujourd’hui preuve d’une grande vitalité, et celle-ci attise la convoitise. La droite et l’extrême droite cherchent parfois à s’infiltrer dans nos mobilisations en s’appuyant sur les clivages propres au mouvement féministe, aux désaccords historiques vieux parfois de plusieurs décennies, en les détournant pour qu’ils servent de caisse de résonance à leurs idées nauséabondes.
L’émergence du mouvement #MeToo a été une occasion pour l’extrême droite de marteler sa rhétorique raciste selon laquelle les hommes migrants (en particulier musulmans) seraient plus violents que les hommes blancs. Ces discours sont les refrains récurrents du collectif Némésis, qui se définit comme « féministe identitaire », ou encore de Bellica qui se réclame d’un « féminisme occidentaliste » et qui défend sur son site internet que « la liberté des femmes est indissociable de la grandeur civilisationnelle de l’Occident ». Ces deux groupes entretiennent des liens publics avec des organisations et des figures d’extrême droite, comme Éric Zemmour, Damien Rieu, Renaud Camus…
Bien qu’ils restent marginaux, leurs idées infusent chez certaines féministes universalistes. C’est le cas par exemple de Christine Le Doaré, ancienne présidente de SOS Homophobie et militante historique de la Maison des femmes à Paris, qui ne tarit pas de critiques envers les « néo-féministes » qu’elle accuse de faire le jeu de l’islam politique1.
Discours essentialistes et transphobie
Une autre composante particulièrement perméable aux idées de droite — voire d’extrême droite — est la tendance autoproclamée « gender critical » (« critique du genre » en français). Leur conception consiste à réduire les catégories femmes-hommes à une définition strictement biologique, immuable et indépassable : les femmes sont des femmes uniquement parce qu’elles ont un utérus et une paire de chromosomes X. Cela s’inscrit en totale contradiction avec nos théories, marxistes et matérialistes, qui analysent la domination en termes de rapports sociaux, donc dynamique et soumise à l’évolution des rapports de (re)production dans le temps.
Derrière le réductionnisme biologique des « critiques du genre » se trouve encore une fois l’un des points de clivage du féminisme contemporain : la question des personnes trans et leur place dans les mobilisations féministes.
Les féministes « critiques du genre » et la droite
Ces féministes sont structuréEs au sein d’un réseau international, la WDI — Women’s Declaration International (en français Déclaration des droits des femmes fondée sur le sexe biologique) qui est également le nom d’un texte manifeste revendiquant plus de 34 000 signatures individuelles ainsi que plusieurs centaines de signatures collectives. Parmi les groupes français qui ont signé l’appel et dont le logo figure fièrement en page d’accueil du site, on trouve… Bellica.
Si la WDI se présente comme un réseau progressiste, sa cheffe de file, Sheila Jeffreys, conseille de faire preuve de souplesse. Dans une vidéo sur les collaborations envisageables entre les féministes et la droite, elle déclare que « dans les situations d’urgence, les féministes auront parfois à faire des compromis avec qui elles travaillent d’une façon ou d’une autre »2. L’un des exemples les plus édifiants de ces « compromis » est sans aucun doute celui du Women’s Liberation Front étatsunien qui s’est vu octroyer en 2017 des subventions à hauteur de 15 000 dollars en provenance d’un fonds conservateur ultra-religieux dans le cadre d’une campagne antitrans commune au sein des universités américaines.
Face à l’extrême droite : vigilance et résistance !
Pour l’instant, les liens les plus évidents entre féminisme « critique du genre » et extrême droite sont encore cantonnés au monde anglo-saxon. Si on ne peut pas affirmer que la situation aux États-Unis préfigure ce qu’il va se passer ailleurs, des indicateurs existent. La nouvelle proximité entre certains groupes féministes universalistes, réunis au sein du Front féministe, et Ypomoni (succursale de l’Observatoire de la Petite sirène, une organisation proche du Printemps républicain et de la Manif pour tous) est à ce titre préoccupante.
Notre tâche de révolutionnaires est de dévoiler le visage de l’extrême droite quel que soit le masque derrière lequel elle se cache. Féministes et antifascistes, tant qu’il le faudra !
- 1. Voir notamment sa tribune « Pride des banlieues : Le mouvement LGBT est débordé par un identitarisme radical », publiée le 3 juin 2022 dans Marianne.
- 2. « In situations of emergency, feminists will have to sometime work out who they’re prepare to work with in one way or another », issue de la vidéo Sheila Jeffreys & Linda Bellos Discuss Feminism Left vs Right politics, disponible sur la chaîne Youtube de la Women’s International Declaration.