L’introduction de la notion de génocide n’a manifestement pas eu l’efficacité qu’espéraient ses promoteurs. Le génocide des Juifs et des Tziganes par les nazis est un terrible succès, par le nombre de victimes, et parce que le Yiddishland est un monde détruit, une culture annihilée.
Un faible moyen de prévention
Le procès de Nuremberg, au grand damne de Lemkin, n’a pas mentionné le génocide dans le jugement — pas seulement parce que la Convention de 1948 lui est postérieure — l’extermination des Juifs y tient une place marginale ; Auschwitz y est évoqué comme en passant ; Treblinka et Sobibor, pas du tout. Après 1948, ce nouveau terme n’a pas davantage permis de prévenir les processus génocidaires. Il a fallu attendre la création du Tribunal international pour les crimes dans l’ex-Yougoslavie (TPY, 1993) et du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR, 1994) pour que les premières accusations de crime de génocide soient portées devant les tribunaux, après-coup. Et comme pour le droit pénal individuel, les condamnations ne jouent pas le rôle dissuasif qu’on veut souvent leur prêter — tant les ressorts profonds qui mènent à ce type de crime dépassent ce genre de considérants.
Gaza : une décision historique de la CIJ
Il n’en reste pas moins que la notion de génocide est un outil juridico-politique important. Pour la première fois, le 26 janvier 2024 (la veille de l’anniversaire de la libération d’Auschwitz), elle a eu un début de mise en œuvre juridique préventive : la Cour internationale de Justice (CIJ) a rendu une décision demandant à Israël d’empêcher d’éventuels actes de génocide, créant ainsi des obligations juridiquement contraignantes pour Israël et pour l’ensemble des États, qui doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour prévenir le génocide.
Cette décision n’a certes pas été suivie d’effets et les complicités occidentales n’ont pas pris fin — il n’y a pour nous rien d’étonnant à cela, car nous ne plaçons ni la justice ni sa mise en œuvre, encore moins pour le droit international, en dehors des rapports de forces politiques.
Intention génocidaire et finalité exterminatrice
Le modèle du génocide ayant pour finalité l’extermination du groupe cible est instrumentalisé par les soutiens d’Israël pour nier l’intention génocidaire, malgré les déclarations nombreuses et sans équivoque, les actes destructeurs et les conséquences massives. Il y a ici une confusion volontaire entre intention et finalité. Si quelqu’un tue un parent pour l’héritage, son but final n’est certes pas le meurtre (mais la richesse), celui-ci n’en reste pas moins volontaire, intentionnel et même prémédité.
L’objectif des dirigeants israéliens n’est peut-être pas l’annihilation des Palestiniens et Palestiniennes (qui n’existent pas dans leur esprit, puisqu’il n’y a que des Arabes) mais l’épuration ethnique, l’extension de la colonisation de remplacement d’un peuple par un autre. Il n’en reste pas moins que pour ce résultat, les moyens intentionnellement mis en œuvre et revendiqués relèvent du crime de génocide (massacres et destructions de masse, famine, destructions des infrastructures, déplacements forcés, etc.). « Détruire pour chasser », comme le dit l’historien et politologue Jacques Semelin 1, c’est encore détruire.
- 1. Jacques Semelin, Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides, Points Seuil, 2017.