Le congrès de Tours, qui se solde par l’adhésion d’une majorité de délégués aux 21 conditions de Lénine et à la IIIe Internationale, ouvre le champ des possibles pour des militantes féministes qui veulent croire à la construction d’un féminisme pour le communisme
Cet espoir est en réalité indissociable de ce que représente la récente Révolution russe en matière d’avancées majeures des droits des femmes. Lénine disait « aucun État, aucune législation démocratique n’a fait pour la femme la moitié de ce que le pouvoir soviétique a fait dès les premiers mois de son existence », faisant écho à une série de mesures prises par les bolcheviques, quelques semaines après la prise de pouvoir. En 1918, le Code de la famille soviétique, qui consacre notamment l’égalité absolue entre le mari et sa femme, est alors le plus progressiste d’Europe. Mais surtout l’État soviétique ne se limite pas à cette égalité juridique. Le Parti se donne comme objectif de faire entrer les ouvrières, les paysannes, les ménagères ou les employées dans toutes les organisations liées aux soviets et ne ferme pas les yeux sur les problèmes, souvent considérés comme appartenant à la sphère privée, en prenant des mesures pour libérer les femmes des tâches ménagères, notamment en créant des restaurants collectifs, des laveries publiques, des crèches, des garderies…
C’est le Secrétariat international féminin, créé en 1920, qui a donc la charge d’impulser l’action en direction des femmes dans les pays capitalistes. Et en France, la jeune SFIC veut alors « accorder une attention spéciale à la partie la plus déshéritée du prolétariat ». Dès sa fondation, les adhérents affluent au Parti communiste. Si ce sont pour l’essentiel des hommes, l’on compte aussi des femmes et notamment des féministes comme Louise Bodin, Marthe Bigot, Hélène Brisson, Madeleine Pelletier ou Suzanne Girault… Certaines occupent des postes de direction : Marthe Bigot est élue en décembre 1920 au Comité directeur ; Suzanne Girault devient membre du Comité central en 1922 et membre du Bureau politique en 1924.
Les espoirs déçus du congrès de Tours
Le Parti apparaît alors à l’époque comme offensif, voire subversif, en s’opposant à la loi de 1920, qui condamnait les avorteuses et celles qui avortaient, en défendant le droit à l’avortement et la possibilité pour les femmes de se faire élire. Il présente des femmes aux élections alors que celles-ci ne disposent ni du droit de vote ni du droit d’éligibilité. En 1924, une militante ouvrière, Joséphine Pencalet, est même élue sur une liste communiste au Conseil municipal de Douarnenez, dans le Finistère.
Mais l’espoir suscité par la fondation de ce nouveau parti sera de courte durée. Dès 1921, le Secrétariat international déclare que « nulle part la lutte pour les droits des femmes ne fut menée aussi mollement qu’en ce pays1 ». Le Parti se limite alors à une démarche propagandiste, en reprenant grossièrement les résolutions de l’Internationale communiste concernant les questions féministes, sans se donner la peine d’analyser la situation en France, de proposer une intervention ni de mots d’ordre.
Ainsi, le Parti communiste totalise au mieux 2 600 femmes en 1924 (environ 4 %) quand l’effectif féminin du Parti allemand s’élève au début des années 1920 à environ 15 % et que le Parti tchécoslovaque comporte un quart d’adhérentes.
En Allemagne, le journal La Communiste se diffuse à 26 000 exemplaires en janvier 1921. En France, L’Ouvrière, dont le premier numéro paraît le 11 mars 1922 sous la pression de l’Internationale, n’est vendu qu’à 3 000 exemplaires2. Il fait aussi face à des critiques et est qualifié de « petit-bourgeois ». Il disparaît dès 1927.
La conséquence directe de ce peu d’intérêt du Parti pour les questions féministes, c’est que les militantes féministes de la première heure, comme Marthe Bigot et Louise Bodin, quittent le parti dès la fin des années 1920. Les désaccords sont également liés au fait qu’elles ont rejoint l’Opposition de gauche trotskiste.
Le tournant stalinien
Paul Vaillant-Couturier, rédacteur en chef de l’Humanité, déclare en 1935 que « les communistes veulent lutter pour défendre la famille française ». Avec l’échec de la révolution mondiale et la dégénérescence de l’URSS, les idées de la bourgeoisie pénètrent les partis ouvriers. En URSS, la bureaucratie stalinienne va alors supprimer l’une après l’autre toutes les lois adoptées par les bolcheviques. En 1934, l’homosexualité et la prostitution sont de nouveau pénalisées et passibles de peines d’au moins huit ans de prison. En 1936, l’avortement est aboli, le divorce devient plus difficile à obtenir.
Le Parti communiste s’aligne alors sur le nouveau le Code de la famille d’URSS. Et il adhère désormais à la logique républicaine, dans la logique de son adhésion au Front populaire.
Ce revirement réactionnaire et antiféministe contribue d’ailleurs largement à laisser les femmes seules dans leurs revendications de liberté et d’égalité. Le gouvernement de Front populaire ne prend aucune mesure favorable aux femmes sur le plan de la contraception et de l’avortement et ne touche pas non plus aux lois très répressives de 1920 contre l’avortement. Les accords de Matignon entérinent l’inégalité salariale en légitimant l’existence de la double grille salariale.
Rapidement, au sein du Parti, se met en place une répartition genrée du travail militant. Le parti est masculin, les causes humanitaires et le pacifisme sont féminins. En janvier 1937, Cécile Vassart, responsable de l’action auprès des femmes, expose les missions spécifiques des militantes communistes : « Les femmes, dans le Parti communiste, sont égales aux hommes. Cela ne veut pas dire que les femmes, comme les hommes, doivent remplir exactement les mêmes fonctions dans l’organisation qu’est notre Parti. N’oublions pas que les femmes communistes sont des femmes, comme toutes les autres femmes, avec le charme et la faiblesse physique de leur sexe... »
Le Parti communiste s’appuie alors sur des critères essentialistes et sur des images traditionnelles qui définissent sa politique en direction des femmes. Pour lui, il est donc dans la nature des femmes d’être favorables à la paix, hostiles à la guerre, parce qu’elles sont mères. Dans cette logique sexiste et genrée du travail militant, les femmes ne siègent globalement pas en direction. Il faudra attendre le XXe Congrès de Saint-Ouen, en décembre 1972, pour que s’amorce une réelle évolution. La proportion des femmes au Comité central s’accroît (16 femmes sur 116 membres) et le Bureau politique compte désormais 2 femmes sur 20 membres3.
L’antiféminisme aux commandes...
À partir de 1945, celui qui est devenu le PCF se présente comme un « défenseur des familles françaises ». Sa participation au gouvernement bourgeois jusqu’en 1947 le conduit toujours plus à l’adoption du discours dominant et patriarcal.
Le rôle des femmes dans la Résistance n’a par ailleurs pas fait évoluer la condition de la militante communiste au-delà du symbole. Elles sont considérées comme compagnes ou épouses et reléguées dans les mouvements féminins, tels l’Union des femmes françaises ou encore la Fédération mondiale démocratique des femmes. L’UFF, créée dans les années 1950, est d’ailleurs souvent conçue comme un refuge pour les femmes. Les militantes qui témoignent des difficultés de concilier le fait d’être mères et de militer y sont souvent reléguées. « C’est la représentation sociale des femmes dominante à l’époque, construite en URSS au milieu des années 1930, qui était mise en œuvre ; les femmes étaient d’abord conçues comme des mères4. »
Ce qui va alors de pair avec une politique prônant le contrôle du corps des femmes, hostile à l’avortement et la contraception, à la libération des femmes. C’est ainsi que Jean Kanapa, dirigeant et caution intellectuelle du PCF, qualifiera le Deuxième Sexe, paru en 1949, d’« ordure qui soulève le cœur5 »…
La période de l’après-guerre est d’ailleurs particulièrement marquée par le tandem formé par Jeannette Vermeersch, dirigeante de l’UFF et Maurice Thorez, Premier secrétaire du Parti qui développent des positions antiféministes et mènent tous les deux un combat contre le contrôle des naissances et le néo-malthusianisme. En 1956, lorsque les premières propositions visant à autoriser la contraception sont déposées par les parlementaires progressistes et radicaux, le PCF s’y oppose.
L’Humanité du 3 mai 1956 publie une lettre que Maurice Thorez a adressé à Jacques Derogy, membre du Parti communiste et auteur d’un livre défendant le principe du contrôle des naissances, dans laquelle il fustige « les théories barbares du néo-malthusianisme américain ». Il ajoute : « Tout en stigmatisant les lois répressives de la bourgeoisie, qui frappent surtout les malheureux, et en réclamant leur abolition, les communistes condamnent les conceptions réactionnaires de ceux qui préconisent la limitation des naissances et cherchent ainsi à détourner les travailleurs de leur bataille pour le pain et le socialisme. »
Jeannette Vermeersch, quant à elle, déclare : « Depuis quand les femmes prolétaires luttent-elles pour les mêmes droits que les dames de la bourgeoisie ? Jamais [...] Depuis quand les femmes travailleuses réclameraient le droit d’accéder aux vices de la bourgeoisie ? Jamais. »
Il faut attendre 1965 pour observer un premier infléchissement du Parti, suite à la mobilisation de l’opinion publique par le Planning familial. Il se prononce alors pour la légalisation de la contraception mais en la considérant, ainsi que celle de l’avortement, comme un pis-aller auquel il faut avoir recours car les familles ne sont pas en mesure d’accueillir tous les enfants qu’elles souhaitent.
Une lente émancipation
Comment le PCF va-t-il donc aborder la deuxième vague féministe, qui déferle dès la fin des années 60 ? Les positions du FHAR (Front homosexuel d’action révolutionnaire), créé en 1971, entrent en contradiction avec un certain nombre d’organisations du mouvement ouvrier, qui ne font nullement de la sexualité une priorité et même une question. Le PCF n’y échappe pas et défend alors des positions clairement homophobes.
Pierre Juquin résume la position officielle du PCF, dont il est alors membre du Comité central en déclarant que « la couverture de l’homosexualité ou de la drogue n’a jamais rien eu à voir avec le mouvement ouvrier. L’une et l’autre représentent même le contraire du mouvement ouvrier ».
En 1971, Jacques Duclos, dans le même registre, interpellé à la Mutualité par un militant du FHAR, qui lui demande si son parti a « révisé sa position sur les prétendues perversions sexuelles », déclare : « Comment vous, pédérastes, avez-vous le culot de venir nous poser des questions ? Allez-vous faire soigner. Les femmes françaises sont saines ; le PCF est sain ; les hommes sont faits pour aimer les femmes. »
Ces positionnements extrêmement réactionnaires sont anciens et n’ont pour ainsi dire pas progressé depuis les années 1930. En 1936, Paul Vaillant-Couturier comparait déjà l’homosexualité à un fléau social au même titre que l’alcoolisme et les maladies vénériennes6.
Et en 1975, c’est dans cette même logique de préservation du patriarcat, de la famille mais aussi de la transmission du patrimoine que le Parti communiste se montre même réfractaire à la question du divorce. « Le divorce n’est pas et ne sera pas même dans une société socialiste une décision souhaitable. La famille au stade historique où nous vivons est quelque chose de fort, de très fort, un élément de sécurité pour le couple et pour leurs enfants7.»
Le Parti va jusqu’à dénoncer le partage des tâches ménagères, qu’il considère comme une thèse féministe, attaquant, dans l’Humanité du 8 mai 1970, l’exemple d’un couple suédois dont l’homme reste au foyer. Pour lui, dans la famille, il n’y a tout simplement pas d’exercice du pouvoir de l’homme sur la femme.
Il faut attendre la seconde moitié des années 70, avec les aspirations portées notamment par le MLF, qui exerce en quelque sorte une pression externe, pour qu’émerge un mouvement de contestation féministe du Parti lui-même.
Dans une lettre ouverte paru dans le Monde en juin 1978 sous le titre « Le Parti mis à nu par les femmes » quatre militantes du PCF indiquent alors leur profond désaccord avec le rapport du Comité central d’avril 1978 en qui concerne les questions consacrées aux femmes. Elles posent des problématiques de fond : le Parti communiste est-il féministe parce qu’il est le Parti communiste ? Est-ce ses 200 000 adhérentes qui font de celui-ci le parti de la libération de la femme ? Elles soulignent la non-prise en compte de l’articulation entre lutte de classe et lutte des femmes et la non remise en cause du rapport traditionnel homme-femme, fondé sur l’idéologie patriarcale et propre à l’idéologie dominante. Enfin, elles proposent une remise à jour théorique et politique afin de juguler le retard pris par le Parti. Ces militantes font par ailleurs paraître en 1979 un mensuel intitulé Elles voient rouge et rejoignent le « mouvement des femmes »… Les choses commencent enfin à bouger.
De sa fondation à la fin des années 1970, le Parti communiste a défendu des revendications progressistes, concernant le statut politique, juridique, des femmes, les droits des travailleuses. Cependant dans son discours, la division sexuée du travail, les relations hommes-femmes, la sexualité des femmes et plus largement l’oppression des femmes ont été largement éludées. Les rôles traditionnels dévolus aux femmes ne sont jamais remis en cause, reproduisant ainsi le discours dominant.
La cause des femmes a, par ailleurs, rapidement été associée à la cause des mères, des épouses, dans une acception essentialiste. La figure du militant restant avant tout celle d’un homme. Le féminisme, et non le sexisme, apparaissant alors comme l’élément diviseur dans une organisation où l’unanimisme est érigé dans le cadre d’un « parti famille » et fait loi.
Plus largement, c’est dans son adhésion progressive, à l’idéal républicain et à sa dimension moralisante et patriarcal, que le Parti communiste, a durant cette période, contribué à faire régresser en son sein mais également, dans l’ensemble du mouvement ouvrier, la construction d’un « féminisme pour le communisme ».
- 1. Critique communiste, « Communisme et/ou féminisme », septembre 1975.
- 2. Idem.
- 3. Michel Gabez, « La question féminine dans le discours du Parti Communiste Français »,1980.
- 4. Geneviève Dermenjian, Dominique Loiseau, Le sexe du militantisme, chapitre 3, « Itinéraires de femmes communistes », 2009.
- 5. La Nouvelle Critique, 1949
- 6. L’Humanité, 2 janvier 1936.
- 7. L’Humanité, 15 janvier 1975.