Le régime est fondé – en large partie – sur le pouvoir personnel d’un « leader charismatique » qui restera au pouvoir sans interruption pendant 42 années...
La régime a été habitué à suivre les modes idéologiques du moment, telle qu’adoptées par le chef : du nationalisme arabe et du nassérisme en passant par le « socialisme », le maoïsme, puis le panafricanisme et certains éléments de l’islamisme, jusqu’à la « modération » auto-proclamée. Cette dernière s’est accompagnée d’un début de privatisations et d’un rapprochement avec les grandes puissances occidentales. Le régime est basé en grande partie, dans sa pratique, sur l’intimidation des « déviants » potentiels, sur l’existence de milices ayant carte blanche du chef... et sur la pratique de la torture.
Tels étaient, parmi d’autres, quelques-uns des traits caractéristiques du régime de Mouammar Kadhafi en Libye.
Du nationaliste « révolutionnaire »…
Arrivé au pouvoir à l’âge de 27 ans en tant que dirigeant des jeunes officiers à l’origine d’un putsch qui eut lieu le 1er septembre 1969 et chassa l’ancien roi Idriss, le « révolutionnaire » Kadhafi y restera jusqu’à son renversement violent en août 2011, suivi de sa mort intervenue le 20 octobre 2011.
Dans ses jeunes années, Kadhafi se voyait, s’imaginait, comme un grand « révolutionnaire », celui qui chassait les puissances étrangères et rétablissait la fierté d’un pays, auparavant dominé et humilié – ce qui était vrai – par la puissance coloniale italienne, puis les Britanniques et Américains. Sa première période pan- arabiste, pendant laquelle il se rêvait en successeur du président égyptien Gamal Abdel Nasser – dont la popularité (quelle que soit la nature de son pouvoir) fut réelle à l’échelle de la région – fut abrégée malgré lui : les autres Arabes lui riaient au nez vu sa grandiloquence.
Par la suite, après une période plus ou moins « maoïsante » et influencée par le tiers-mondisme, Kadhafi se fit le héros d’un pan- africanisme qui allait de pair avec le recrutement de deux millions de travailleurs immigrés africains (subsahariens), pour cinq millions d’habitantEs de nationalité libyenne. La réalité fut cependant bien plus prosaïque : grâce à la rente pétrolière, la majorité des Libyens était exonérée du travail physique ou des travaux « ingrats »... laissés aux immigrés. Et durant une période, le régime fit de la propagande officielle en faveur des mariages mixtes (libyo-africains). Mais quand, en 1999-2000, une partie de la population trouva un exutoire dans des pogroms anti-Noirs, le régime abandonna vite sa position antérieure.
… à la paranoïa du pouvoir
à partir du milieu de la décennie 2000, le régime négocia avec plusieurs pays de l’Union européenne des traités pour la « réadmission » de migrantEs passés par la Libye, et considérés comme non désirables par les pays de la « Forteresse Europe ». à partir de 2004 et à plusieurs reprises, des accords ont été conclus avec l’Italie de Berlusconi. à partir de ce moment, La Libye de Kadhafi se dota d’une trentaine de camps d’internement de migrantEs venant du Soudan, d’Érythrée, de Somalie et d’autres pays du continent africain. Dans ces lieux d’enfermement, les mauvais traitements étaient monnaie courante...
Ce n’était pas le seul obstacle du rapprochement du régime libyen de l’époque avec les grandes puissances impérialistes. à partir de 1986 et plus encore dans la décennie suivante, la Libye kadhafiste était diplomatiquement isolée : son leader était soupçonné d’avoir commandité plusieurs attentats plus ou moins aveugles. (notamment dans une discothèque à Berlin-Ouest en mars 1986, entraînant des bombardements US sur Tripoli et Benghazi en avril 86, ou contre des avions au-dessus de l’Écosse en 1988 – l’attentat de Lockerbie –, puis au-dessus du Niger en 1989). L’embargo frappant les investissements économiques en Libye, durci en 1992, conduisit à une économie de la pénurie. C’est à cette période que Kadhafi tenta de légitimer son régime par la prétendue volonté d’Allah... et avec l’application de peines « islamiques » draconiennes. Cela même si le clergé traditionnel et les mouvements islamistes organisés le qualifiaient d'« imposteur »…
En 2003, Kadhafi reconnut le danger : que son régime figure en tant que « prochaine cible » sur la liste de cibles potentielles, dans un agenda US qui venait d’abattre la dictature de Saddam Hussein en Irak tout en occupant le pays entier. Afin d’éviter le même sort, Kadhafi conclut en décembre de la même année un accord avec les gouvernements US et britannique. Il déclara alors renoncer aux armes de destruction massive (en livrant certaines composantes nucléaires et chimiques qu’il détenait), ainsi qu’au terrorisme. Il accepta d’indemniser les victimes de Lockerbie et du vol UTA.
à la même période, l’ouverture – notamment – de l’industrie pétrolière libyenne, puis d’autres secteurs, aux investissements occidentaux fut décrétée. Le tout accompagné d’un profil de « bon élève » en matière de coopération avec l’Union européenne, pour combattre l’« immigration illégale ».
Tout cela n’empêchera pas sa chute...
Bertold du Ryon