Le parti ANC restera-t-il toujours abonné au pouvoir ? Pour l’instant, il en a l’air. Même si ses résultats aux élections générales ont baissé entre 2009 et 2014, passant de 65,9 % à 62,5 % des voix, l’ancienne formation de Nelson Mandela reste identifiée par beaucoup de membres de la population noire à son passé, lorsqu’elle était le principal mouvement de résistance au régime d’apartheid...
Bien qu’une nouvelle élite noire se soit formée dans ses rangs, élites dont les conditions de vie sont totalement coupées de celles de sa base sociale, que le chômage réel (pas celui des statistiques officielles) touche de 35 % à 40 % de la population, l’ANC ne souffre pas de concurrence politique qui pourrait lui devenir dangereuse. En tout cas à court terme.
Compromis historique
Une nouvelle bourgeoisie noire, dont l’un des représentants les plus emblématiques est le probable futur présidentiable Cyril Ramaphosa, monopolise une partie des richesses qu’elle partage avec l’ancienne élite blanche. C’était le fondement du compromis historique de 1994, quand, au moment de la fin officielle du régime d’apartheid et des lois ségrégationnistes, l’ANC a accepté de prendre le pouvoir politique tout en renonçant à une transformation sociale profonde. à gauche du gouvernement se sont formés quelques forces critiques du cours de l’ANC, dont l’un des représentants les plus en vue est Julius Malema.
Né en 1981, après avoir été président de la branche de jeunesse du parti (ANCYL) en 2008, il fut exclu des instances du parti ANC en 2012. Aujourd’hui, il dirige une formation, EFF (Economic Freedom Fighters — Combattants pour la liberté économique), qui a obtenu 6,4 % des voix en 2014 et qui a intégré des accents anticapitalistes et panafricanistes dans son discours. Or, Malema lui-même a fait l’objet de vives critiques. En partie pour des mauvaises raisons : certainEs le taxent de prétendu « racisme anti-blanc », alors que la population blanche vit majoritairement toujours dans des conditions économiques très différentes de la majorité des Noirs... Mais en partie aussi pour des motifs réels : Malema a non seulement défendu le dictateur zimbabwéen Robert Mugabe, mais lui-même s’est enrichi dans le passé en tant qu’entrepreneur du bâtiment, bénéficiant de commandes publiques.
Mécontentement et contestation
Mais le vrai danger, à long terme, pour l’ANC pourrait résider dans l’érosion de sa base sociale. Il gouverne aujourd’hui dans le cadre d’une alliance triptyque avec la centrale syndicale COSATU (Congrès des syndicats sud-africains) et le Parti communiste sud-africain (SACP). Ce dernier se montre très largement acritique et « loyal », ayant même félicité la police après les tirs mortels à Marikana. La COSATU, actuellement encore forte de 1,8 million de membres, connaît une crise interne profonde qui a conduit début novembre 2014 à l’exclusion de la fédération de la métallurgie, NUMSA. Cette dernière avait commis le crime de ne pas appeler à voter pour l’ANC en mai 2014, pour la première fois !
Auparavant, la fédération n’avait pas toujours été en tête des critiques. Entre 1996 et 2000, elle avait par exemple collaboré avec le pouvoir et le capital dans l’industrie automobile. Et alors que le groupe allemand Volkswagen avait proposé une grosse commande à l’exportation en 1998 assortie de conditions, la NUMSA avait viré certains délégués critiquant ces pratiques, dont la réduction des pauses et l’allongement du temps de travail à 45 heures hebdomadaires. Les délégués n’avaient appris ces « compromis » que par la presse.
Mais au fil des années, le mécontentement social grandissant a conduit la fédération à se montrer plus critique du pouvoir. Jusqu’au congrès de la COSATU tenu en novembre 2015, celle-ci a perdu environ 300 000 membres à cause de ces conflits.
Double jeu
Le président Jacob Zuma, plus connu pour ses propos populistes que pour son intelligence, a intégré des accents se voulant « africanistes » dans ses discours, pour remplacer la dimension sociale du profil de l’ANC. Ainsi a-t-il renforcé le rôle des royautés traditionnelles, dont les titulaires sont rémunérés par l’État : d’une fonction purement honorifique, ils sont passés à une fonction plus politique.
Alors que certains parmi eux, dont le « roi » zoulou Goodwill Zwelithini, développent un discours carrément xénophobe contre les travailleurs immigrés mozambicains, zimbabwéens et autres, Zuma et son entourage laissent faire. Alors que des pogroms à répétition contre ces ressortissants des pays voisins canalisent une partie de la colère sociale, l’ANC et la COSATU jouent un double jeu. Alors qu’ils ont appelé à des manifestations anti-xénophobie, la centrale syndicale ne fait pas par exemple réellement d’efforts pour syndiquer les travailleurs migrants et se concentre sur la « protection » des salariéEs autochtones.
Bertold du Ryon